Publié

Joseph Joachim Raff, un compositeur suisse dans l'ombre de Liszt et de Wagner

Portrait de Joachim Raff (1822-1882). [Montage RTS - Photo: Domaine public]
Joachim Raff, un compositeur romantique suisse dans l'ombre de Liszt et de Wagner (1/4) / L'Oreille d'abord / 86 min. / le 27 mai 2024
Né dans le canton de Schwytz en 1822, Joseph Joachim Raff a vu son talent être célébré et encouragé par Felix Mendelssohn, avant que le compositeur soit pris sous l'aile protectrice de Franz Liszt. Ce Germano-Suisse a connu de son vivant une certaine notoriété avant de tomber dans l'oubli.

Joseph Joachim Raff? Salué comme une figure nationale en particulier en Suisse allemande, le compositeur est encore peu connu dans l'ouest de la Suisse. Mais peu à peu, sa musique émerge de l'oubli et connaît un certain regain d'intérêt auprès des interprètes. 

Né à Lachen (SZ) le 27 mai 1822, le futur compositeur est allemand par son père et suisse par sa mère. Sa maison natale accueille aujourd'hui les archives Joachim Raff et sert de siège à une société qui porte son nom et qui, depuis cinquante ans, œuvre à faire connaître son héritage.

Le "Wagner suisse"

Joachim Raff est un compositeur profondément romantique qui s'inscrit dans l'esprit de son temps. Sa musique peut être comparée à celles de ses contemporains, en particulier celle de Wagner. Le chef d'orchestre Philippe Bach, qui a dirigé l'opéra de Raff "Samson" en 2022 à Berne, compare la palette orchestrale de Raff à celle de "Lohengrin" de Wagner, n'hésitant pas à qualifier Raff de "Wagner suisse".

Comme Wagner, Raff utilise des leitmotivs pour illustrer les situations et les personnages et se sert d'instruments solistes ou des passages purement orchestraux pour camper le décor des différentes scènes. 

Une invitation de la part de Mendelssohn

A l'âge de 21 ans, sur le conseil de ses amis impressionnés par son talent de compositeur et pianiste, Joachim Raff adresse un courrier à Felix Mendelssohn, alors directeur du Conservatoire de Leipzig, et sollicite son avis sur ses compositions. Après avoir lu ses partitions, Mendelssohn lui répond en des termes très élogieux: non seulement il l'encourage vivement à suivre sa vocation musicale, mais il l'invite aussi à poursuivre sa formation en Allemagne.

Une rencontre décisive avec Liszt

Au cours de l'été 1845, Raff fait une rencontre qui sera déterminante pour sa carrière: sa route croise celle du célèbre compositeur et pianiste Franz Liszt à l'issue d'une série de concerts que le virtuose donne à Bâle. Séduit par la vivacité d'esprit du jeune Suisse et par son talent musical, Liszt le prend immédiatement sous sa protection. En août 1845, Liszt joue de son influence pour lui décrocher un emploi à Cologne, dans un magasin de musique renommé, la maison Eck & Lefebvre, qui fabrique des pianos.

Raff y travaille pendant deux ans au cours desquels il échange avec son mentor une correspondance régulière. En juin 1846, à l'occasion d'une fête de chant choral à Cologne, Raff a enfin l'occasion de rencontrer Felix Mendelssohn, qui l'invite à venir se perfectionner dans sa classe à Leipzig.

Mendelssohn ou Liszt? Un choix cornélien

Le jeune Suisse est confronté à un dilemme de taille: comment choisir entre Mendelssohn et Liszt? Tous deux ont une conception très différente de la musique. Mendelssohn comme Schumann est l’héritier de la tradition de Beethoven et de Mozart, tandis que Liszt et Wagner regardent vers la modernité et la liberté de la forme. Tout au long de sa carrière, Raff va s’efforcer de réaliser la synthèse entre ces deux univers sonores.

C'est le destin qui va choisir à sa place. En novembre 1847, Mendelssohn quitte ce monde, fauché dans la fleur de l’âge. Reste donc Liszt, mais il est constamment en voyage pour ses concerts. Raff ne peut pas rester à Cologne, les critiques qu’il a rédigées pour l’Allgemeine Wiener MusikZeitung lui ont valu des inimitiés en ville. Il est urgent pour lui de changer d’air. Sa vie durant, Raff aura à souffrir de son manque de diplomatie, de sa franchise sans détour et d’une plume très directe. Elle ne lui vaudra pas que des amis.

Le copiste de Franz Liszt

Après quelques années à Stuttgart, Joachim Raff s'établit à Weimar dès 1850, ville où Liszt vient d'être nommé Kappelmeister de la cour. Il est engagé à ses côtés comme secrétaire, copiste et factotum. Son travail consiste principalement à seconder le maître en orchestrant, copiant et préparant ses œuvres pour leur exécution.

Mais si l'on en croit les lettres que Raff adresse à ses amis, son rôle va bien au-delà de ce qu'on peut attendre d'un secrétaire personnel. A l'évidence, Liszt avait besoin d'aide et Raff était en mesure de lui apporter la sienne. Pendant six ans, de 1850 à 1856, Raff sert en quelque sorte de prête-plume à Liszt, arrangeant, orchestrant, copiant les œuvres de son maître.

La maison de Franz Liszt (1811-1886) à Weimar, en Allemagne. [Roger-Viollet via AFP]
La maison de Franz Liszt (1811-1886) à Weimar, en Allemagne. [Roger-Viollet via AFP]

Loin de traiter son protégé sinon d'égal à égal, du moins comme un collaborateur prometteur, Liszt se sert copieusement de lui, au mieux comme orchestrateur (en particulier de ses propres poèmes symphoniques), au pire comme simple copiste. Finalement, lassé de cette servitude et désireux d'épanouir sa personnalité musicale, Raff prend la décision de quitter Weimar et de voler de ses propres ailes.

Wiesbaden puis Francfort

Il met le cap sur Wiesbaden où il passe les vingt et une années suivantes. Il y enseigne le piano, l'harmonie et le chant et compose la majeure partie des œuvres qui portent un numéro d'opus. Sa musique connaît un succès croissant. En 1863, sa première symphonie intitulée "An das Vaterland" reçoit à Vienne le prestigieux Prix de la Gesellschaft der Musikfreunde (Société des amis de la musique), qui récompense l'œuvre symphonique la plus aboutie de l'année. 

Dans les années 1870, Raff figure parmi les compositeurs germanophones les plus joués de son temps. Son catalogue est particulièrement riche et compte six opéras, onze symphonies, plusieurs ouvertures et concertos, beaucoup de musique de chambre, des sonates pour divers instruments et un solide corpus d'œuvres pour piano. La richesse de ce catalogue fait dire à certains critiques que Raff compose beaucoup trop.

En 1878, la ville de Francfort engage Raff comme directeur pour prendre en main les rênes du Conservatoire de musique nouvellement bâti. C'est lui qui engage Clara Schumann comme professeure de piano, même si cette dernière n'éprouve aucune sympathie pour lui. Plusieurs divergences avec le conseil d'administration du conservatoire entachent les dernières années de Raff à Francfort, qui s'éteint dans la nuit du 25 au 25 juin 1882, emporté par une crise cardiaque. 

Aujourd'hui, la musique du Schwytzois de naissance sort peu à peu de l'oubli dans lequel elle dormait et connaît à la scène une reconnaissance méritée.

Sujet radio: Catherine Buser

Adaptation web: Melissa Härtel

Res Marty, "Joachim Raff, Leben und Werk. Eine Biografie", MP Education, Rat und Verlag AG, 2014.

A consulter également, le site de la Joachim Raff Gesellschaft

Publié