La musique de Khatia Buniatishvili échappe aux conventions du classique. Elle n'hésite pas à s'aventurer hors des sentiers battus, comme en témoigne son prochain concert à Genève, consacré à la musique de Charles Aznavour. "Je fais ce que j'aime et visiblement cela casse les codes", dit-elle en souriant.
Enfant, elle baignait déjà dans un univers musical éclectique. "Quand j'étais enfant, j'écoutais différents genres de musique, parce que ma mère aimait beaucoup la chanson française et américaine. J'écoutais ça comme j'écoutais Mozart. On écoutait de tout et ça me paraît très naturel."
Ma mère m'a appris ce qu'est la discipline et m'a éduquée à l'art, notamment la musique
Née en Géorgie dans les dernières années de l'Empire soviétique, Khatia Buniatishvili a grandi dans un environnement dans lequel la musique était plus qu'un refuge, c'était une voie de salut. "Ma mère m'a appris ce qu'est la discipline et m'a éduquée à l'art, notamment la musique dans laquelle j'avais davantage de capacités. Elle fut ma première professeure, elle m'a appris à lire les partitions. Elle m'a ouvert à cet univers qui a couvert l'autre aspect de ma vie qui était plus gris, voire sombre, afin de ne pas perdre ce qui est humain en nous."
Dans un contexte de guerre, de criminalité et de difficultés économiques, la musique est devenue une échappatoire. "Ma mère a fait ça avec son intuition, sans avoir de plan. Elle nous a sauvées de cette manière-là."
"La vie m'a menée en Suisse, sans rien vraiment planifier. La plupart des choses qui se sont passées dans ma vie, c'est par mon impulsivité. (…) Je suis restée, parce que cela m'a plu et ma fille est née ici", confie-t-elle.
Faire oublier les heures de travail
Khatia Buniatishvili est consciente qu'il existe "énormément de virtuoses", mais précise qu'"il y a une différence entre avoir une très bonne technique et la virtuosité. La virtuosité, c'est quand on oublie le travail qu'il y a derrière, on oublie qu'il y a une difficulté. Cette virtuosité nous mène vers quelque chose qui émotionnellement et pour l'esprit raconte une certaine histoire, crée quelque chose d'artistique." Ses modèles, Vladimir Horowitz et György Cziffra, illustrent cette capacité à transcender la technique pour toucher à l'âme.
Je suis reconnaissante de ces mains, car elles me permettent de transmettre la musique des compositeurs
Son énergie au piano lui permet de rivaliser avec les plus grands. "Je peux être plus forte que certains hommes, plaisante-t-elle. L'énergie n'a rien à voir avec les muscles."
Elle considère ses mains - qui sont assurées - comme des outils de travail, les comparant à celles des ouvriers: "Je ne prends pas vraiment soin de mes mains, je ne fais pas de manucures, sauf si c'est exigé pour une séance photo. Les mains, ce sont des mains d'ouvrier. (…) Je suis reconnaissante de ces mains, car elles me permettent de transmettre la musique des compositeurs."
Renoncer à se produire en Russie
Bien qu'admiratrice de la culture russe, notamment des œuvres de Fiodor Dostoïevski, Khatia Buniatishvili a pris une décision radicale: elle ne joue plus en Russie depuis 2008. "Ce n'est pas difficile, c'est douloureux. Parce qu'on peut avoir un sentiment très fort envers des gens, l'art, mais malgré cela s'empêcher d'y aller pour protester." La guerre et la politique ne doivent pas entacher la musique, affirme-t-elle.
"Au nom de la musique, on ne peut pas protester contre l'agression humaine. Mais je continue d'aimer la Russie. Et j'espère qu'un jour la guerre se terminera et que les gens pourront librement s'aimer sans être liés avec la politique." Elle défend avec force les compositeurs russes. "Il ne faut pas boycotter les compositeurs russes. (…) Tchaïkovski n'a rien à voir avec cette guerre."
Récital de Khatia Buniatishvili en hommage au centenaire de Charles Aznavour, le 9 octobre 2024, au Victoria Hall Genève
Propos recueillis par Philippe Revaz
Adaptation web: Valentin Jordil