Un salon avec une porte en bois. De grandes peintures accrochées à gauche. Titus (Bernard Richter) est en train de peindre une toile, à même le sol. A droite, des hommes avec des gilets jaunes observent en silence. Au milieu, un micro sur pied. Ainsi débute "La clémence de Titus" version Milo Rau, qui constitue la première incursion du Bernois dans le monde de l'art lyrique. Sa mise en scène aurait dû être donnée en 2021 en création à Genève, mais en raison de la pandémie de Covid-19, elle avait été proposée en streaming uniquement.
Ecrit par Mozart en 1791 à l'occasion du couronnement de Léopold II comme roi de Bohême, "La clémence de Titus" aborde les politiques sociales et réactionnaires d'une élite aristocratique. Le livret est basé sur la vie de l'empereur romain Titus et célèbre la grandeur d'esprit du souverain, qui pardonne à son meilleur ami qui a tenté de l'assassiner.
Titus, un plasticien incompris
Avec son t-shirt à l'effigie du révolutionnaire africain Thomas Sankara, le Titus de Milo Rau incarne une sorte de plasticien incompris, un artiste enfermé dans sa bulle qui se nourrit du malheur des autres. Un homme qui veut créer une œuvre à partir de témoignages de personnes sans-abri, mais qui refuse de leur tendre la main de peur de se salir.
Si Milo Rau s'est intéressé à cette oeuvre, ce n'est pas uniquement pour son "incroyable" musique. "C'est un opéra politique vraiment intéressant. Mozart l'a créé deux ans après la Révolution française et il traite de la clémence de l'empereur. Mais pourquoi, deux ans après la révolution contre ces élites, on crée un opéra qui montre une élite clémente? Je me suis dit qu'il était intéressant de voir cette transformation des élites, qui s'approprient les valeurs de la révolution pour survivre", explique Milo Rau dans l'émission Vertigo du 14 octobre.
Une élite repliée sur elle-même
Cet adepte du théâtre documentaire fait donc de son Titus un célèbre artiste entouré d'une élite à la fois artistique et politique, repliée sur elle-même, tandis qu'au dehors le peuple vit une tragédie. Sur la scène de Neuve, le Bernois a invité une vingtaine de Genevois et Genevoises, pour la plupart issus de la migration, "pour raconter l'histoire du peuple de Genève".
Des projections vidéo permettent de connaître les propres parcours de vie des personnes présentes sur la scène. Ce processus permet aussi d'éclairer le personnage de Titus. "C'est un regard dans l'âme de Titus, parce qu'il y a quand même une sorte de catharsis. Il a des cauchemars, il voit qu'il a tué, mais il le voit seulement en vidéo. Pendant qu'il est sur scène, il va retrouver par exemple des gens qu'il a tués dans sa petite galerie".
Comme en 2021, le ténor suisse Bernard Richter endosse le rôle-titre de l'empereur, tandis que la soprano italienne Serena Farnocchia incarne le personnage de Vitellia. Le chef d'orchestre tchèque Tomáš Netopil dirige quant à lui l'Orchestre de la Suisse romande.
Sujet radio: Layla Shlonsky
Adaptation web: mh
"La clémence de Titus" de Mozart, mise en scène de Milo Rau, avec Bernard Richter, Serena Farnocchia, Maria Kataeva, Yuliia Zasimova, Giuseppina Bridelli, Justin Hopkins (16.10, 18.10, 25.10, 27.10), Mark Kurmanbayev (23.10, 29.10), le choeur du GTG, l'Orchestre de la Suisse romande sous la direction de Tomáš Netopil, Grand Théâtre de Genève, du 16 au 29 octobre 2024.