PJ Harvey et Dionne Warwick, une icône rock et une diva pop modèle au Montreux Jazz
Elle entre en longue cape blanche zébrée de branches d'arbre noires pour "Prayer at the Gate", titre atmosphérique aux éclairs électriques de son récent douzième album intitulé "I Inside the Old Year Dying". Bras replié devant le visage, PJ Harvey s'aventure dans un refrain lancinant entre grave et aigu, habitée. Sur la Scène du lac du Montreux Jazz Festival mardi, on sait déjà que son animale esthétique doublée de fragilité poétique et de lyrisme gracile fera mouche. En fond de scène, des visuels d'écorces craquelées ou de terres taries ajoutent une touche de mystère.
Chez Polly Jean Harvey, le feu et l’air rock semblent ne faire qu’un depuis la nuit des temps de toute façon. L’Anglaise au timbre tour à tour de braise et délicat orchestre des partitions bouillonnantes et sans concessions qui se réinventent depuis les déflagrations rock de "Dry" (1992). C'est encore le cas à Montreux au fil des cinq chansons rock hantées, et peu hospitalières de prime abord, qu'elle extrait de son dernier album, dont le diptyque apaisé mais retors composé de "I Inside the Old Year" et "I Inside the Old I Dying" qu'elle mène à la guitare acoustique.
Atmosphères et électricité
Autant de titres qui privilégient les ambiances sonores - labyrinthiques et fantomatiques - pour accompagner des textes découlant d'un long poème en dialecte qu'elle chante dans un anglais réinventé. Sur disque comme sur scène, c'est l'interprétation ensorcelante de PJ Harvey qui finit par réussir à imposer une grisante étrangeté à ce curieux répertoire convoquant l'enfance, les amours fanées et la nature sauvage de son Dorset natal.
Entourée de son fidèle complice John Parish (guitares et clavier), de Giovanni Ferrario (basse et clavier), du Franco-Suisse Jean-Marc Butty (batterie) et de James Johnston (violon et clavier), la rockeuse britannique remonte ensuite le cours de sa discographie plus électrique et sous tension.
Les coups de boutoir de "The Glorious Land" sont contrebalancés par les balais sur la batterie, "Let England Shake" est électrifié par sa harpe compactée, "The Words That Maketh Murder" excelle dans ses lancinances et sinuosités alors que "Send His Love to Me" voit PJ Harvey s'agenouiller puis commencer à jouer davantage à cette espèce de panthère scénique qui a contribué à son mythe rock.
Quarté rock final
A mi-chemin d'un concert qui s'achèvera par sa marque de fabrique tout en crescendo rock qu'est "To Bring You My Love", PJ Harvey laisser tomber sa cape pour arborer la robe fendue et les boots blanches incarnant stylistiquement cette tournée pour un "50ft Queenie" qui lui confère toute son essence animale.
Désormais plus nuancée que frontalement rock, PJ Harvey passe davantage en mode prêtresse de cérémonie et alterne l'intensité de son répertoire, où il faudra attendre le quarté gagnant final constitué des fiévreux "Man-Size" et "Dress" ainsi que des désormais classiques "Down by the Water" et donc "To Bring You My Love" pour connaître de réels frissons.
>> A consulter, notre dossier sur la 58 édition du Montreux Jazz : Le suivi de la 58e édition relookée du Montreux Jazz Festival
Olivier Horner
58e Montreux Jazz Festival, jusqu'au 20 juillet 2024.
Dionne Warwick sur un fil de son histoire
Autre scène, autre ambiance au Casino où s'est produit pour la première fois au Montreux Jazz Festival mardi soir la diva Dionne Warwick, 83 ans, qui talonne rien de moins qu'Aretha Franklin dans les charts du XXe siècle.
Quand à 22h, elle s'avance lentement, mouchoir à la main, pour prendre place tout sourire devant son pianiste, son percussionniste, son guitariste-bassiste et son batteur en costumes de gala et noeuds papillons, elle rayonne déjà dans sa tenue rayée plissée grise et blanche assortie à sa chevelure coupée court.
Pour marquer l'événement de sa venue, elle est obligée de raconter une partie de son histoire passée comme récente avant de chanter, comme aux grandes heures des concerts de la variété américaine des années 1960 et 1970. Et quoi de mieux que d'entamer son gala et poser son sceau sur le Montreux Jazz par "Walk On By".
Un classique qu'elle a popularisé comme des dizaines d'autres quand sa technique vocale digne d'une chanteuse d'opéra a été, entre 1963 et 1972, l'interprète de prédilection du tandem d'auteurs-compositeur Burt Bacharach et Hal David.
Au Casino de Montreux, l'histoire de la pop défile ainsi à moyenne allure durant près d'une heure et demie encore par le biais de "You Will Never Get to Heaven", "I Will Never Fall In Love Again", "Do You Know The Way To San Jose", "I Say a Little Prayer", "Alfie" ou "Anyone Who Had a Heart", considéré comme l'expression parfaite de l'easy listening.
Si la voix de Dionne Warwick, institution de la soul et de la pop américaine, n'a pas toujours ses éclats passés et tient parfois à un fil - tout ne résiste pas bien au temps -, sa généreuse prestation et son espièglerie d'un soir que son fils David Elliott a accompagné vocalement le temps d'un duo bossa-nova suffisent à en faire une parenthèse enchantée de ce Montreux Jazz Festival 2024.