Voix stupéfiante et sidérante dont le timbre soul évoque par moments Amy Winehouse, Raye était logiquement annoncée au Montreux Jazz, comme ailleurs à Coachella récemment, comme le nouveau phénomène pop à découvrir absolument. Forte de ses six récompenses aux derniers Brit Awards - un record - et coup de coeur déclaré qui plus est du directeur du Festival, Mathieu Jaton, la chanteuse anglaise de 26 ans aux origines ghanéennes et suisses avait donc intérêt à assurer sa prestation sur la Scène du lac jeudi soir.
Le contrat est déjà presque rempli quand la Londonienne entre en scène élégamment vêtue dans une robe blanche au décolleté dorsal avec épaulettes à franges, pieds nus, avec des airs de Marilyn Monroe brune. A ses côtés, un orchestre de gala resserré en costumes noir et blanc, noeud papillon, avec quatre cuivres à leurs pupitres siglés Raye, une batterie, des percussions, un piano à jouer debout immaculé toujours, un guitariste et une bassiste-clavier.
La force du métissage
Raye donne d'emblée le ton d'une prestation qui sera à la fois virtuose et spontanée, émouvante et légère en chantant "The Thrill Is Gone" qui télescope énergiquement soul, jazz, pop, R'n'B, hip-hop, vocalises et scats. Un morceau qui montre l'étendue de son registre vocal et incarne à merveille la fusion que réussit son premier album "My 21st Century Blues", paru début 2023 et qui raconte son parcours personnel. Le métissage de son répertoire, au lien d'être une faiblesse, s'avère le principal atout de Raye.
L'ancienne et précoce prête-plume pour des artistes tels que Beyoncé, John Legend ou Major Lazer le prouvera encore plus tard avec des prestations de haut vol sur "Genesis" ou son tube délivré en épilogue, "Escapism".
Confessant son honneur d'être à Montreux en introduction de "Worth It", émue aux larmes par la présence de son grand-père et de cousins à ce concert spécial, Raye exhibe le drapeau suisse tatoué sur son avant-bras et conserve un naturel que sa notoriété fulgurante ne semble pas entamer. Sans filtre ni tabou, elle contextualise auprès du public le thème des addictions qui parcourt "Mary Jane" ou celui des violences sexuelles de "Ice Cream Man", né de son vécu avec un producteur. "Je n'aime pas chanter ce titre, mais c'est nécessaire. Et la musique m'a sauvé la vie".
Virtuosité et spontanéité cohabitent
Après cette parenthèse plus grave et chargée émotionnellement, musicalement down tempo avec cuivres et guitares soulignant la dramaturgie, Raye embraye sur les montagnes russes façon grand orchestre de "Genesis" et une reprise de "It's a Man's World" de James Brown à genoux, une de ses chansons favorites. Avant un final plus électro qui transforme la Scène du lac en dancefloor à ciel ouvert sur "Secrets" et "Black Mascara".
Au terme d'une heure et quart d'une master class vocale et orchestrale où la virtuosité n'a jamais écrasé la spontanéité, Raye revient saluer sous une ovation méritée. Un concert plein de caractère. Et un plaisir qu'elle va prolonger en chantant encore durant la nuit au Memphis, temple des jams sessions du Festival.
>> A consulter, notre dossier sur la 58 édition du Montreux Jazz : Le suivi de la 58e édition relookée du Montreux Jazz Festival
Olivier Horner
58e Montreux Jazz Festival, jusqu'au 20 juillet 2024.
Janelle Monáe en mode combat
Au bout de la soirée, alors que beaucoup de gens s'en vont déjà pensant le concert terminé, Janelle Monáe revient sur la Scène du lac pour interpréter "Let's Go Crazy" de Prince.
Comme si la chanteuse et musicienne américaine était obligée de payer son dû à celui qui s'était glissé discrètement en coulisses au côté de Quincy Jones en 2010 pour assister à son premier show à Montreux, avant de devenir le mentor de ses premiers pas discographiques.
Dans un registre tout aussi intense et caractériel que Raye plus tôt mais davantage scénographié et chorégraphié, Janelle Monáe a parachevé une soirée de prouesses vocales et orchestrales en faisant s'accroupir le public sur un "Come Alive" de music-hall à l'euphorie contagieuse.
Ode à la joie, aux plaisirs sexuels, aux droits et à la liberté
Fractionnant sa prestation en plusieurs tableaux aux ambiances contrastées et tenues appropriées en forme d'ode à la joie, aux plaisirs sexuels, aux droits et à la liberté des personnes LGBTQ+ comme sur son dernier album "The Age of Pleasure" (2023), Janelle Monáe a pris comme point de départ une île paradisiaque avec palmiers et champagne qui coule à flot ("Champagne Shit" et "Black Sugar Beach" entre autres) pour célébrer les rêves et les changements.
Toutes les tonalités de l’Afrique à la Jamaïque, en passant par les Caraïbes et Atlanta sont convoquées et empruntent musicalement les voies de l'afrobeat, du reggae, du dancehall, du funk et du hip-hop. Le voyage passe aussi par des contrées moins hospitalières où règnent des black panthers féminines ("Django Jane", "Queen", "Electric Lady") en body noirs et bérets rouges.
Manifeste excentrique pour l'inclusivité, le show de Janelle Monáe oscille entre fulgurances (lorsqu'elle se mue en toréador en costume noir pailleté sur chaussettes blanches façon Michael Jackson) et moments de trop-plein (pour les plus kitsch "Pink" et "I Like That" en body blanc) à force d'empiler les couches.
Mais comme Raye, la chanteuse américaine n'oublie pas de citer ses influences marquantes, de Bootsy Collins à Grace Jones cités également, pour s'inscrire dans un continuum musical ainsi que dans l'histoire du Montreux Jazz Festival. Son absence de dernière minute l'an dernier est toute pardonnée.