C'est un drame, dans sa forme la plus féroce. "Fedora", opéra d'Umberto Giordano créé en 1848 à Milan d'après la pièce éponyme du dramaturge français Victorien Sardou, également auteur de "Tosca", déroule une histoire des plus tragiques.
A Saint-Pétersbourg en 1881, la princesse Fedora Romazoff doit se marier avec Vladimir, un comte désargenté. Mais à la veille du mariage, ce dernier est assassiné par l'anarchiste Loris Ipanoff. L'assassin s'exile à Paris, poursuivi par une Fedora ivre de vengeance qui le séduit afin de lui faire avouer le meurtre et le dénoncer à la police. Mais après la première salve d'aveux, Loris révèle à Fedora que son fiancé, Vladimir, était l'amant de son épouse. Loris les a surpris, Vladimir lui a tiré dessus, et c'est en ripostant que Loris l'a tué.
Cette révélation fait chavirer Fedora, qui tombe amoureuse de Loris. Malheureusement, sa lettre de dénonciation a déjà été remise à la police de Saint-Pétersbourg. Le frère de Loris, accusé de complicité de meurtre, est arrêté et emprisonné, avant de se noyer dans sa cellule inondée par la Neva. Sa mère, le cœur brisé de chagrin, meurt à son tour. Dans le dernier acte de l'opéra, qui se déroule dans un palace de Gstaad, en Suisse, Fedora, rongée par la culpabilité, avoue sa faute à Loris, implorant de son pardon. Loris la maudit, Fedora avale du poison et expire dans les bras de son amant éploré.
Dans la Russie des années 1990
Sur la scène du Grand Théâtre de Genève, cette oeuvre dramatique de Giordano s'apprécie dans la mise en scène d'Arnaud Bernard, qui transpose l'intrigue dans la Russie des années 1990 et exploite la dimension thriller politique de l'oeuvre. La production genevoise repose sur le couple star, à la ville comme à la scène, formé par Roberto Alagna, dans le rôle de Loris Ipanoff, et Aleksandra Kurzak, qui incarne Fedora.
C'est une première pour les deux chanteurs, qui ne boudent pas leur plaisir. "Ce rôle était l'un de mes rêves", indique la soprano dans l'émission A l'opéra du 7 décembre. "Ce sont des rôles très difficiles, dramatiques", complète Roberto Alagna, qui voit dans le personnage de Fedora "un mélange de beaucoup d'héroïnes".
L'importance de la technique vocale
Pour Aleksandra Kurzak, il est fondamental pour ce type de rôle de pouvoir compter sur une technique vocale irréprochable. "Ce n'est pas du bel canto, où l'on peut se concentrer sur le beau son. Ici, parfois, il faut même "salir" un peu les notes pour plus de crédibilité. On peut facilement s'abîmer la voix avec tous les cris et le drame [de la pièce]. En gardant la technique du bel canto, on peut chanter aussi des rôles dramatiques. Dans le vérisme [ndr le réalisme tragique, à l'inverse du romantisme], les sopranos peuvent utiliser la voix de poitrine, les cris, des sons différents que dans le bel canto", explique-t-elle.
Son époux, Roberto Alagna, ne dit pas autre chose. "C'est le danger de ce genre d'ouvrages, à l'image d'"I Pagliacci" ou même d'"Otello", qui n'est pas vériste, mais a des coups d'éclat. Il faut garder une base belcantiste dans la technique et essayer de rester froid à l'intérieur. C'est difficile, car le drame nous pousse dans nos limites. Donc il faut essayer de faire attention, car on peut s'abîmer la voix avec une seule phrase. En en même temps, c'est ce qui fait la beauté de ce répertoire".
Propos recueillis par Serene Regard
Adaptation web: mh
"Fedora" d'Umberto Giordano, mise en scène d'Arnaud Bernard, avec Aleksandra Kurzak, Elena Guseva, Roberto Alagna, Najmiddin Mavlyanov, Grand Théâtre de Genève jusqu'au 22 décembre 2024.
La production sera diffusée sur RTS Espace 2 le samedi 11 janvier 2025 à l'enseigne de l'émission A l'opéra.