Lorsque Gaetano Donizetti compose en 1837 la partition de "Roberto Devereux", il vit des heures tragiques. Durant les quelques mois précédents, il a perdu son père, sa mère et son deuxième enfant nouveau-né. En été 1837, sa femme accouche d'un enfant qui meurt au bout de quelques heures, avant de succomber elle-même à la fin du mois de juillet.
Véritable drame sur fond d’histoire politique, son opéra "Roberto Devereux" remporte un grand succès pendant cinquante ans, avant de disparaître des scènes lyriques. Le Grand Théâtre de Genève programme d'ailleurs pour la première fois cette oeuvre dont le personnage central est plutôt celui de la reine d'Angleterre, Elisabeth Ière. On assiste à son déclin, son aigreur, son sentiment d’être bafouée lorsqu’elle découvre que son favori, coupable également de trahison politique, en désire une autre et que l’exercice de sa fonction lui est si pesant.
Le comte décapité
Tous ses courtisans pressent la reine de faire tuer Roberto Devereux, le comte d'Essex. Accablée, Elisabeth ordonne sa mort, avant de changer d'avis, mais trop tard: la sentence a déjà été exécutée. Folle de douleur, elle est prise de délire: elle voit la couronne baignée de sang, un spectre décapité dans les couloirs du palais et un tombeau à la place de son trône. Elle décide enfin d’abdiquer en faveur d’un jeune roi totalement fictif, Jacques Ier d’Angleterre, qui prend alors le pouvoir.
Sur la scène de la Place Neuve, la soprano Elsa Dreisig campe la reine avec toute la dimension psychologique du personnage. On y trouve à la fois la fureur, le dépit et surtout une certaine mélancolie. Elle erre en robe blanche, dans la nuit, sous des flocons de neige. Exit la robe à crinoline et sa collerette hérissée.
Bon plateau vocal
La mise en scène de Mariame Clément donne à voir la solitude dans l’exercice du pouvoir et à quel point la reine est pressée de toute part par les courtisans qui cherchent à influencer ses décisions. Vocalement, Elsa Dreisig domine les sauts d’intervalle et les fioritures terriblement difficiles: ses aigus sont lumineux, saillants, jamais criards, et elle descend par moments jusque dans les graves en voix de poitrine.
Dans le rôle de Roberto Devereux, le jeune ténor uruguayen Edgardo Rocha déploie une belle ligne de chant, avec des aigus parfois un peu serrés. Légère déception pour Stéphanie d’Oustrac qui campe la rivale, Sara de Nottingham, car sa voix n’est vraiment en adéquation avec ce type de bel canto. Le baryton Nicola Alaimo, dont la voix est immense, excelle dans le rôle de Lord Notthingham, le mari trahi qui tombe de haut quand il apprend que son meilleur ami Devereux, qu’il défend, courtise sa femme.
Les décors, conçus par Julia Hansen pour accueillir le cycle des trois opéras, et les costumes sont sobres et beaux. Le chef italien Stefano Montanari dirige l'Orchestre de la Suisse romande avec un sens du drame en conjuguant fougue et finesse. Le Chœur du Grand Théâtre est également remarquable dans cette oeuvre qui possède un vrai atout par rapport aux deux épisodes précédents: celui de dresser le portrait d'une reine bafouée, qui se sent comme une amoureuse rejetée et une femme indésirable à un âge avancé. Car c'est dans la vieillesse que ses failles se révèlent les plus touchantes.
Sujet radio: Julian Sykes
Adaptation web: Melissa Härtel
"Roberto Devereux" de Gaetano Donizetti, mise en scène de Mariame Clément, Grand Théâtre de Genève, à voir encore les 4, 6, 23 et 30 juin 2024.
Avec Edgardo Rocha (23.6 et 30.6), Mert Süngü (6.6), Elsa Dreisig (23.6 et 30.6), Ekaterina Bakanova (6.6), Stéphanie d’Oustrac (23.6 et 30.6), Aya Wakizono (6.6), Nicola Alaimo, le Choeur du Grand Théâtre de Genève, l'Orchestre de la Suisse romande sous la direction de Stefano Montanari. A noter enfin les reprises sur la scène du GTG d'"Anna Bolena" les 18 et 26 juin et de "Maria Stuarda" les 20 et 28 juin 2024.