A la fin du Covid, Indochine s’est lancé pendant deux ans et demi entre Bruxelles, Londres et Paris dans l’écriture et l’enregistrement de ce nouvel album studio aussi dense et foisonnant que sombre et énergique.
Un "Babel Babel" qui débute heureusement par ces mots plus légers et romantiques que sont "Je me donne à fond dès la première nuit et dans mon esprit, c’est toujours pour la vie" ("Showtime"), et où Indochine raffole encore de longues introductions atmosphériques pour nous faire entrer dans sa bulle.
Dimension héroïque et combative, revendicative parfois
Dans l'hôtel cinq étoiles genevois où Indochine reçoit, le chanteur Nicola Sirkis explique avoir été tétanisé par la période de confinement due au Covid: "On pensait provoquer la création durant cette incroyable période du Covid, mais en fait non. Même si elle avait des aspects intéressants, comme le fait que j'ai pu surtout beaucoup lire."
Les dix-sept nouveaux longs morceaux entre rock, pop et électro, même s'ils ne sont pas toujours digestes, véhiculent le plus souvent une dimension héroïque et combative, revendicative parfois aussi avec des messages sur le genre, la guerre entre la Russie et l’Ukraine ou la liberté des femmes en Iran.
"Un monde de plus en plus cacophonique où les libertés se restreignent"
Dans "Sanna sur la croix", Sirkis clame par exemple que "la race humaine est nulle et que sa peine vous brûle" tout en adressant un étonnant message de solidarité à l’ancienne Première ministre finlandaise Sanna Marin, qui s’était vivement opposée à la Russie dès son invasion de l’Ukraine. Comme si la marche brutale du monde devait engendrer et imposer des indignations au cœur du répertoire des éternels adolescents du rock français.
"C'est tout le paradoxe du monde. On vit une énorme épidémie qui est résolue en quelques mois grâce à la recherche et à l'intelligence humaine. Puis, deux ans après, on se retrouve dans une Europe avec des guerres, un monde de plus en plus cacophonique où les libertés se restreignent", détaille Nicola Sirkis dans l'émission Vertigo du 21 octobre.
C'est le chaos du monde qui est assez indescriptible et affolant. Nous, à l'échelle d'Indochine, on subit ça et on essaie de l'affronter à notre façon. On a cette chance de pouvoir écrire des chansons, de créer des choses. Et ces sensations, ces émotions provoquent quelques étincelles quelque part.
Pas de cahier des charges indigné imposé donc pour ce "Babel Babel". Indochine affirme recevoir le monde de plein fouet, comme tout le monde: "On n'est pas dans l'entertainment pour amuser les foules. On est des observateurs, donc on essaie de trouver une échappatoire, pas des solutions. La musique est un partage d'émotions, de sensibilités, de joies et de tristesses", relève Nicola Sirkis.
La pochette stupéfiante du photographe américain David LaChapelle
Les dix-sept morceaux de bravoure d'Indochine bénéficient en tout cas d’un stupéfiant packaging visuel réalisé par le photographe américain David LaChapelle, qui a entassé des corps à moitié nus, effrayés et hurlants ou se bouchant les oreilles, au pied de la Tour de Babel et des portes de l’enfer. "Quand on regarde ces gens, on a envie qu'ils se taisent et en tout cas que tous ceux qui ont la parole dans la politique ou d'autres sphères arrêtent de s'engueuler pour trouver une solution, une autre voie", estime Nicola Sirkis.
Une pochette presque idéale pour les colères que renferme "Babel Babel" et dont l'impulsion revient au guitariste et compositeur Oli de Sat, qui apprécie énormément le travail du photographe depuis les années 1990 quand il s'était distingué en devenant le maître de ce qu'on a appelé le porno chic: "On apprécie ses oeuvres avec des références à Jérôme Bosch et de grosses mises en scène pour des photos où il utilisait peu le numérique. On a eu la chance de pouvoir prendre contact avec lui et Nicola est allé le voir aux Etats-Unis, lui a parlé de ce concept de Tour de Babel. Il a eu comme un flash et il a construit cette Tour de Babel un peu sombre et pessimiste, mais qui est une vraie maquette, avec une vraie séance de photo avec des vrais figurants".
Parmi les morceaux marquants de ce quatorzième double album figure le très pop et percussif "Le chant des cygnes" dédié aux Iraniennes et qui voit les enfants de la famille Indochine faire des chœurs aériens en contrepoint d’un propos plus grave.
Nicola Sirkis évoque la naissance de ce titre singulier: "Il a germé comme tous les autres textes, en observant et en subissant le monde. (...) Les femmes iraniennes ont un courage sans nom. Ici en Europe, en Occident, avoir du courage en politique, c'est minable par rapport à ce qu'elles ont fait et ce qu'elles font, à savoir enlever un foulard et risquer la pendaison. Ce courage-là m'a sidéré. La chanson s'appelle 'Le chant des cygnes' car je suis sûr que quoi qu'il arrive, le futur va démontrer que les gens brimant les libertés perdront à la fin. Dommage qu'il faille en payer le prix."
Olivier Horner
Indochine, "Babel Babel" (Sony Music). Paru le 7 septembre 2024.
Indochine en concert à La Vaudoise Arena, Malley (VD), 14, 16 et 17 mai 2025 (les 16 et 17 mai 2025 sont complets).
Indochine impose et surveille le prix de ses billets de concert
Dans la foulée de la publication de "Babel Babel", Indochine a annoncé une nouvelle tournée de janvier à juin 2025 dans dix-sept villes. En moins de deux heures, le groupe a vendu les 300'000 places de ces dates, incluant une double escale à La Vaudoise Arena de Malley en mai 2025.
Depuis, Indochine a remis en vente des dates supplémentaires, dont un concert à Malley le 14 mai qui n'affiche pas encore complet. Malgré cet engouement, la formation emmenée par Nicola Sirkis n’est pas prête de vouloir céder aux sirènes des prix des billets de concert aux tarifs variables dits dynamiques, fluctuant selon l'offre et la demande comme dans le cas des billets d'avion notamment.
Nicola Sirkis estime qu'Indochine "a le pouvoir de le faire parce qu'on a un public énorme et qu'on a donc le pouvoir d'imposer nos prix, de surveiller ça, même si il y a beaucoup de choses qui nous échappent, comme les mises en vente où on essaie de prévenir qu'il risque d'y avoir beaucoup de demandes".
Si Indochine n'a évidemment pas les moyens de mettre en vente lui-même ses tickets de concert, Nicola Sirkis indique qu'"on maîtrise les prix de nos places pour que ça ne soit pas excessif. On n'est pas là pour gagner de l'argent ou voler notre public, on est là pour faire plaisir et que tous nos techniciens et le matériel qui est sur scène soient payés. Mais on n'est pas là pour s'endetter non plus. Donc on essaie d'être raisonnables là-dessus et, effectivement, de contrer ces grosses sociétés qui veulent appliquer les prix dynamiques".
Nicola Sirkis s'offusque aussi sur les différentes zones tarifaires des concerts: "Tous ces artistes qui font des pelouses or, des entrées VIP, des pass VIP ou premium, c'est insupportable. La musique est là pour être partagée quel que soit son niveau social. Mais c'est pour ça qu'on est détestés par beaucoup de producteurs de concerts qui veulent juste gagner un maximum d'argent". Et d'insister enfin sur le respect du public sur lequel Indochine veille depuis quarante-trois ans. Un respect mutuel sans doute.