"The Last Night of the Proms", l'apothéose de la saison estivale de concerts de la BBC
Les BBC Proms sont à l'Angleterre ce que le Paléo Festival ou le Montreux Jazz sont à la Suisse romande: une véritable institution musicale. Cette série de concerts classiques, mais à la programmation populaire, a vu le jour au XIXe siècle. A l'époque, des concerts estivaux se donnent en plein air dans les jardins londoniens. Le public, aussi appelé "Prommers", peut déambuler librement pendant les prestations musicales.
Dès 1895, une série de concerts est programmée durant l'été, mais à l'intérieur - la faute peut-être à la bruine anglaise - sous l'impulsion de Robert Newman, directeur du Queen's Hall de Londres. Objectif: élargir le public grâce à une programmation populaire et des prix bas. Durant les concerts, spectateurs et spectatrices sont autorisés à manger, à boire et à fumer, mais doivent éviter de faire craquer des allumettes pendant les parties chantées! La grande attraction de ces concerts consiste en des airs d'opéras populaires joués par un orchestre, une partie musicale intitulée "Grand Fantasia".
La BBC aux manettes
Dès 1927, la BBC reprend l'organisation des Proms. Le radiodiffuseur anglais de service public crée en 1930 l'Orchestre symphonique de la BBC, qui devient l'orchestre principal des concerts. La popularité du festival de musique classique s'accroît, pour devenir progressivement l’un des moments musicaux les plus importants du calendrier britannique.
A cette époque, les concerts des Proms sont dédiés à des compositeurs particuliers: les lundis sont consacrés à Wagner et les vendredis à Beethoven. Le chef d'orchestre anglais Henry Wood, étroitement associé aux Proms et qui les dirigea pendant plus de cinquante ans, met un point d'honneur à proposer un doux mélange de morceaux familiers et de créations, comme le "Concerto pour piano, op. 13" de son compatriote Benjamin Britten, créé aux Proms en 1938.
Du Queen's Hall à l'Albert Hall
En 1939, en raison de la guerre qui vient d'éclater, la BBC retire aux Proms son soutien financier. Une grande partie de ses émissions est transférée de Londres vers des endroits moins susceptibles d'être bombardés. Ses activités musicales, y compris l'orchestre, sont déplacées à Bristol. Les Proms sont privées d'argent et de musiciens, mais Henry Wood décide que la saison 1940 aura lieu coûte que coûte. Il déniche des sponsors privés et remplace l'orchestre de la BBC par le London Symphony Orchestra. Hélas, au bout de quatre semaines de concerts, le Queen's Hall doit fermer en raison d'intenses bombardements. En mai 1941, un bombardement de la Luftwaffe détruit le bâtiment.
Dès 1941, les Proms déménagent à l'Albert Hall, dans le quartier londonien de Kensington, où elles ont toujours lieu aujourd'hui. La jauge de la salle est deux fois plus grande que celle du Queen's Hall, en revanche, l'acoustique y est médiocre. Le plafond creux provoque un écho important. Il faudra attendre les années 1960 pour voir l'installation au plafond de "champignons" en fibre de verre suspendus au plafond de l'auditorium, qui servent de diffuseurs acoustiques.
Des orchestres internationaux
Après la guerre, le public ne veut plus de soirées Wagner (allez savoir pourquoi!). Le répertoire du festival s'élargit et inclut des pièces de compositeurs contemporains comme Pierre Boulez, Luciano Berio ou György Ligeti, tout en conservant l'exécution de pièces baroques ou de la Renaissance. Dès 1960, on voit arriver aux Proms des orchestres invités, de Manchester, Bournemouth ou Liverpool et six ans plus tard, un premier ensemble étranger se produit au Royal Albert Hall sous la bannière des Proms: l'Orchestre de la Radio de Moscou.
Il est suivi de près par l'Orchestre du Concertgebouw d'Amsterdam, l'Orchestre symphonique de la Radio polonaise et l'Orchestre philharmonique tchèque. "C'est à cette époque que les Proms sont passés d'une entreprise prospère, mais relativement conservatrice, à un festival international majeur", écrit la BBC sur son site internet.
Quand la saison des Proms arrive, la vie change; une sorte de lumière entre dans votre agenda.
La tradition du "Promming"
Dès les années 1970, on peut entendre aux Proms des opéras en intégralité, de la musique non occidentale, du jazz, du gospel, de la musique électro. Certains concerts sont conçus spécialement pour le jeune public. La BBC, qui a repris les rênes des Proms dès 1942, commande régulièrement des pièces aux compositeurs contemporains, leur offrant une visibilité non négligeable. Chaque été, les huit semaines de concerts de la saison des Proms proposent un large éventail de styles musicaux différents.
Etre programmé aux Proms est un signe de prestige. Presque tous les grands orchestres, chefs d'orchestre et solistes internationaux s'y sont produits. Mis à disposition par l'UER (Union européenne de radio-télévision), de nombreux concerts sont diffusés en Suisse romande par Espace 2 pendant les soirées d'été.
Aujourd'hui, les prix des concerts sont toujours relativement bas, la programmation est large, d'excellente qualité, et attire un public nombreux.
Si l'on ne craint pas les longues files d'attente, on peut acheter des billets pour le concert du jour même à 8 livres sterling (environ 9 frs). Ils offrent l'accès à des zones debout, le "Promming", dans le centre (l'Arena) et la galerie du Royal Albert Hall. Cette tradition populaire du "Promming" est au cœur de l'atmosphère unique et informelle des BBC Proms.
"Last Night of the Proms", la ferveur populaire
Mais on ne peut pas évoquer les Proms sans parler de sa soirée de clôture, la fameuse "Last Night". Elle a lieu traditionnellement le deuxième samedi de septembre et est diffusée en direct à la radio et à la télévision. Cette soirée festive est réservée à des "happy few": la demande de billets est très forte et les dispositions pour en obtenir, strictes. La plupart des précieux sésames sont vendus par tirage au sort.
Musicalement, le programme de la première partie est traditionnellement populaire: cette année, on pourra entendre par exemple la fameuse "Pavane" de Fauré ou "O mio babbino caro", tiré de l'opéra "Gianni Schicchi" de Puccini, chanté par la soprano américaine Angel Blue.
Chanter en choeur, avec le coeur
La deuxième partie du programme de la soirée (diffusée en direct sur la chaîne de télévision BBC One) est constituée quant à elle de morceaux patriotiques britanniques, toujours les mêmes. Le 14 septembre, sous la baguette du Finlandais Sakari Oramo, le BBC Symphony Orchestra se mesurera donc à la marche numéro 1 "Pomp and Circumstance" d'Edward Elgar, dont le morceau "Land of Hope and Glory" est chanté avec ferveur par l'assemblée.
Suivront "Fantasia on British Sea Songs" d'Henry Wood, suivie de "Rule, Britannia!" de Thomas Arne. Le concert se terminera par "Jerusalem" d'Hubert Parry et l'hymne national britannique dans un arrangement signé Benjamin Britten, entonnés par le public en même temps que le choeur. Depuis quelques années, les spectateurs chantent aussi l'air écossais "Auld Lang Syne" après la fin du concert.
Drapeaux et ballons
A l'occasion de ce concert, il est d'usage d'afficher fièrement son identité, britannique ou non, avec force drapeaux (autorisé dans l'enceinte du Royal Albert Hall), confettis ou ballons, ce qui confère à la soirée une ambiance franchement festive. Sur "Rule, Britannia!" en particulier, les drapeaux sont agités sans aucune réserve!
Entre 2016 et 2019, la dernière soirée des BBC Proms était d'ailleurs devenue un terrain de bataille entre les pro et les anti-Brexit, ces derniers agitant des drapeaux européens en lieu et place des fanions britanniques.
Comme à Vienne lors du Concert du Nouvel-An, tout est protocolé et le public se plie à des petits rituels. Mis au point par des personnalités comme Malcolm Sargent et Andrew Davis, le discours prononcé par le chef d'orchestre lors de cette soirée permet de placer quelques bons mots et, une fois de plus, de soulever l'enthousiasme patriotique des "Prommers".
Melissa Härtel
"Last Night of the Proms", à écouter en direct sur Espace 2, le 14 septembre 2024 dès 19h30. Commentaire en direct depuis le Royal Albert Hall par Benoît Perrier.