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Un "Tristan et Isolde" de Wagner sans passion au Grand Théâtre de Genève

Elisabeth Strid et Gwyn Hughes Jones dans la production genevoise de "Tristan et Isolde" de Wagner. [Grand Théâtre de Genève - Carole Parodi]
Elisabeth Strid et Gwyn Hughes Jones dans la production genevoise de "Tristan et Isolde" de Wagner. - [Grand Théâtre de Genève - Carole Parodi]
Le Grand Théâtre de Genève fait son ouverture de saison avec "Tristan et Isolde", l'une des plus grandes histoires d'amour de tous les temps. Malheureusement, la passion n'est pas au rendez-vous dans la mise en scène trop sobre et distante de Michael Thalheimer. Reste la musique de Wagner, magnifiée par l'OSR.

"Trisan et Isolde" raconte l'histoire de deux amoureux maudits qui ne pourront trouver le réconfort que dans la mort. Une histoire d'amour tragique datant du Moyen Âge que le compositeur allemand Richard Wagner a choisi de transposer en opéra au moment où lui-même vivait une histoire d'amour interdite avec l'épouse de son mécène Otto Wesendonck.

Une passion sans issue

Présenté en 1865 à Munich, l'opéra en trois actes débute sur un navire qui fait route vers les Cornouailles. A son bord, Tristan ramène la princesse Isolde promise à son oncle, le roi Marke. Follement amoureux l'un de l'autre, ils comprennent cependant que leur passion est sans issue et décident de boire un philtre de mort. Mais Brangäne, la suivante d'Isolde, échange le poison contre un philtre d'amour, exacerbant encore plus leur désir.

Dans le deuxième acte, Isolde, désormais épouse du roi, et Tristan se retrouvent le temps d'une nuit. S'ensuit un duo d'amour - le plus long de l’histoire de la musique - entre les deux protagonistes qui sont, l'aube venue, surpris par le roi Marke. Face à cette trahison, Melot, vassal du roi, blesse mortellement Tristan.

Le troisième acte prend place dans la forteresse de Kareol où le mourant, amené là par son compagnon Kurwenal, attend l'arrivée d'Isolde, seule capable de le guérir. Mais la jeune femme ne pourra finalement que recueillir ses dernières paroles avant qu'il ne meure dans ses bras. Isolde décide alors de s'unir dans la mort à l'homme qu'elle aime lors du fameux "Liebestod" qui met fin à l'opéra.

Une mise en scène qui éloigne les deux amoureux

Chef-d'oeuvre de la musique romantique, l'opéra "Tristan et Isolde" est selon les termes employés par Wagner un "monument à l'amour". Il présente une passion d'une telle intensité qu’elle ne peut qu’aboutir à une fin tragique qui prend la forme d'une délivrance.

La production genevoise à voir actuellement au Grand Théâtre ne parvient malheureusement pas à transcrire sur scène la passion et le désir insatiable qui figurent au coeur de l'opéra. La faute à la mise en scène trop sobre de Michael Thalheimer qui a fait le choix, assumé, de montrer deux amoureux qui, malgré la fougue, la passion et le désir qui devraient les animer, restent à distance l'un de l'autre.

Deux amants maudits qui ne se touchent jamais, ou si rarement, et seulement du bout des doigts. Sans doute afin de montrer que cet amour n'a pas été consommé et qu'il ne sera possible que dans la mort. Mais cela ne fonctionne pas.

"Tristan et Isolde" dans une mise en scène signée Michael Thalheimer. [GTG - Carole Parodi]
"Tristan et Isolde" dans une mise en scène signée Michael Thalheimer. [GTG - Carole Parodi]

Un décor minimaliste

Connu pour ses mises en scène minimalistes, l'Allemand - qui avait proposé à Genève un "Parsifal" de Wagner lors de la saison 2022-2023 - reste aussi sur cette ligne très sobre en termes de décors, confiés à Henrik Ahr.

Mais avec une oeuvre de cinq heures (entractes compris) particulièrement pauvre en actions, difficile de faire vivre ce récit avec ce qui se résume presque exclusivement à un immense panneau composé de 260 spots. Eclairant la scène et les protagonistes d'une couleur chaude oscillant entre le jaune et orange, la lumière s'intensifie parfois au point d'éblouir le public, s'assombrit ou s'éteint au gré de l'histoire. Une manière simple de souligner l'opposition entre le jour et la nuit développée dans l'oeuvre de Wagner, mais qui s'essouffle rapidement et laisse un sentiment de vide.

Un Tristan désemparé

Dimanche soir pour cette première genevoise, ce sont Elisabet Strid et Gwyn Hughes Jones (qui joue en alternance avec Burkhard Fritz) qui campaient le duo d'amoureux maudits. Entièrement investie dans son rôle, la soprano suédoise a su convaincre, même si on aurait pu espérer plus d'envergure vocale.

Du côté du ténor gallois, il faudra attendre le troisième acte et la longue scène où, agonisant, il attend Isolde, pour qu'il semble sortir de sa léthargie. Jusque-là, on le sentait plutôt désemparé aussi bien au niveau de la voix que du jeu; la direction d'acteurs de Michael Thalheimer ne l'aidant pas à savoir quoi faire sur cette scène presque vide. Difficile aussi pour le public d'adhérer à ce Tristan - censé être l'incarnation du désir amoureux - fagoté d'une chemise noire trop large et pendante, ne le mettant absolument pas en valeur.

Très belle prestation de l'OSR

Heureusement, les seconds rôles sont bien présents. On retiendra la force et la pureté de la voix de la soprano Kristina Stanek (Brangäne), dont les avertissements aux amoureux lancés depuis la salle durant le deuxième acte ont provoqué des frissons, le baryton Audun Iversen, plein d'empathie dans son rôle de Kurwenal, ou encore la prestation très réussie de Tareq Nazmi dans celui du roi Marke.

Quant à la direction musicale, elle a été confiée à Marc Albrecht. Sous la baguette du chef allemand, l'Orchestre de la Suisse Romande (OSR) a offert dimanche soir une magnifique prestation, mettant en valeur la partition riche et exigeante de Richard Wagner.

Andréanne Quartier-la-Tente

"Tristan et Isolde", opéra en trois actes de Richard Wagner. Mise en scène de Michael Thalheimer. Direction: Marc Albrecht. Solistes: Elisabeth Strid, Gwyn Hughes Jones en alternance avec Burkhard Fritz, Tareq Nazmi, Kristina Stanek, Audun Iversen. Grand Théâtre de Genève. A voir encore les 18, 22,24 et 27 septembre 2024.

Cette production est diffusée à l'enseigne de l'émission A l'opéra sur Espace 2, le 19 octobre 2024.

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