Françoise Hardy, un concentré de mélancolie

Grand Format

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Introduction

Avec "Tous les garçons et les filles" en 1962, Françoise Hardy est subitement passée d'étudiante invisible à icône du spleen adolescent. Son art de la mélancolie s'est ensuite affirmé durant toute la décennie à travers quelques chansons capitales sur l'amour et le temps qui court. Retour sur les débuts marquants de la chanteuse française disparue le 11 juin à l'âge de 80 ans. 

Chapitre 1
Un mélange de beauté, de mélancolie et de mystère

Keystone/Photopress-archiv - Arrigoni

Difficile de réaliser des débuts plus marquants. Avec "Tous les garçons et les filles", son premier disque paru chez Vogue en novembre 1962, Françoise Hardy entre instantanément dans le cœur d’une génération et un peu à rebours des yéyés.

A peine sortie du Petit Conservatoire de Mireille, l'émission de radio puis de télévision en forme de cours de chant, que la jeune ex-étudiante en allemand devient une énorme vedette. D'autant que le lancement du nouveau journal Salut les copains la met abondamment en valeur, photographiée sous toutes les coutures par son compagnon d'alors, Jean-Marie Périer.

Une icône pop des sixties se dessine

Alliant beauté, mélancolie et mystère, Françoise Hardy se distingue déjà aussi aisément de ses rivales des années 1960 au coeur de la vague yéyé en composant la plupart de ses chansons qui n'affichent aucune faute de goût. Au même titre que ses tenues très à la mode comme un pantalon Courrèges ou plus tard des robes en métal Paco Rabane, Françoise Hardy préfigure l'air du temps tout comme le mariage entre mode et musique.

Une icône des sixties se dessine. Quelque part entre chanson française classique et pop mélodique britannique, avec un art de la mélancolie en étendard.

Ses douze premières chansons notables, parmi lesquelles figurent aussi "Le temps de l'amour" ou "Mon amie la rose", se voient récompensées par l'académie Charles-Cros. La chanteuse participe ensuite en 1963 à l'Eurovision avec "L'amour s'en va", puis se produit notamment avec succès à l'Olympia.

En moins d'une décennie, Français Hardy a imposé à jamais sa voix singulière, une pop au spleen bien à elle qu'elle égrènera au fil de vingt-huit albums jusqu'à l'ultime "Personne d'autre" en 2018.

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Chapitre 2
"Tous les garçons et les filles" (1962)

RTS

Françoise Hardy a signé les paroles et la musique de "Tous les garçons et les filles" en 1961 déjà, un an avant son enregistrement et sa sortie. Elle a dû cosigner la chanson pour pouvoir la déposer à la Sacem (Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique), car elle ne pouvait y être inscrite comme compositrice puisqu'elle ne maîtrisait pas le solfège.

"Tous les garçons et les filles" a été inspirée à Françoise Hardy par la chanson de Paul Anka intitulée "Lonely Boy" qui évoque un garçon solitaire et triste. L'artiste française se souvient de son court passage universitaire à Sciences Po pour exprimer dans son texte le même mal-être, à savoir la solitude et le désarroi d'une adolescente convaincue d'avoir un physique ingrat qui ne lui permettra pas de connaître l'amour.

Un sentiment qui se concentre avec force mélancolique par exemple dans le couplet suivant: "Tous les garçons et les filles de mon âge savent bien ce que c'est d'être heureux/ Et les yeux dans les yeux et la main dans la main, ils s'en vont amoureux sans peur du lendemain/ Oui mais moi, je vais seule par les rues, l'âme en peine/Oui mais moi, je vais seule, car personne ne m'aime".

La pochette de l'album qui contient la chanson ne faisait déjà pas de doute sur sa maussade tonalité: on y voit Françoise Hardy tenir un parapluie dans un coup de vent qui fait voler ses cheveux laissés libres. Elle regarde l'objectif d'un air triste, ailleurs. Elle n'a pourtant que 18 ans.

Chapitre 3
"Le temps de l'amour" (1962)

Collection ChristopheL via AFP - COLLECTION CHRISTOPHEL © PHOTOTHEQUE LECOEUVRE

Autre chanson fondatrice du style Françoise Hardy, "Le temps de l'amour" a été coécrit par Lucien Morisse, directeur de la musique sur la radio Europe 1, et Jean Salvet. La musique est quant à elle signée d'un jeune inconnu nommé Jacques Dutronc, qui l'avait composée en 1960 pour un instrumental nommé "Fort Chabrol", soit bien avant que le couple Hardy-Dutronc ne se forme.

"C'est le temps de l'amour, le temps des copains, et de l'aventure" va résonner longtemps. Cette chanson nostalgique sur l'amitié, l'amour et le temps qui court, avec ses guitares surf californiennes, ira jusqu'à surgir dans la bande originale du film "Moonrise Kingdom" (2012) de Wes Anderson. Le réalisateur écrit expressément une partie du film pour intégrer une scène inspirée de la chanson et de la voix au spleen rêveur de Françoise Hardy.

Chapitre 4
"Mon amie la rose" (1964)

Dans son troisième album sans titre qui paraît en novembre 1964, Françoise Hardy travaille avec Charles Blackwell et Mickey Baker qui signent les orchestrations. Le 33 tours sonne enfin mieux et plus pop comme la chanteuse l'entend en termes de production.

La chanson phare du disque s'intitule "Mon amie la rose", une ballade qu'elle a découverte deux ans plus tôt au Petit conservatoire de Mireille où Hardy a aussi fait ses armes. Elle était alors interprétée par Cécile Caulier qui en était aussi l'autrice. Intitulée "Madame Rose" à l'origine, la chanson constitue un hommage à Sylvia Lopez, actrice et mannequin décédée d'une leucémie foudroyante à l'âge de 26 ans.

>> A voir, une archive de la RTS où Françoise Hardy interprète "Mon amie la rose" dans l'émission Carrefour en mars 1965 :

Françoise Hardy - Mon amie la rose
Edition Archives - Publié le 17 janvier 2024

Si Françoise Hardy mettra un certain temps à imposer auprès de son entourage cette chanson mise en musique sur un boléro composé par Jacques Lacome, "Mon amie la rose" finira par devenir l'un de ses plus grands succès. Et connaîtra de nombreuses reprises, dont celle orientalisante de Natacha Atlas en 1999.

L'expression du temps qui passe inexorablement ou de la beauté qui fane jusqu'à la tombe atteignent dans "Mon amie la rose" des sommets de mélancolie.

Chapitre 5
"La maison où j'ai grandi" (1966)

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Figurant sur le sixième album de Françoise Hardy, "La maison où j'ai grandi" devient le tube de l'été 1966. Une chanson de souvenirs à la nostalgie diffuse qui prend sa source au Festival de Sanremo en Italie auquel la chanteuse française a participé.

Adriano Celentano y interprète alors un titre inspiré de son enfance à Milan baptisée "Il raggazzo della via Gluck". Le chanteur italien est éliminé du concours. Enervé, il prend le volant de sa voiture et fonce dans un mur, mais s'en sort indemne. Au-delà de cette histoire, Françoise Hardy est séduite par sa chanson hautement mélancolique qui lui irait à merveille.

Eddy Marnay finira ainsi par adapter en français cette chanson emblématique du répertoire de Françoise Hardy qui connaîtra un beau succès en France en se classant à la deuxième place du hit-parade du magazine Salut les copains.

Chapitre 6
"Ma jeunesse fout le camp" (1967)

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Une marguerite au coin des lèvres, regard un peu triste, Françoise Hardy vous fixe intensément sur la pochette signée Jean-Marie Périer. Baptisé du nom de sa chanson-titre, "Ma jeunesse fout le camp", ce nouveau 33 tours sorti en 1967 est encore un concentré des thèmes chers à Françoise Hardy. Ils se voient orchestrés par Charles Blackwell avec les participations de John Paul Jones, Jaques Dutronc et Jacques Denjean.

Les minutes qui s'égrènent, les amours contrariées ou la dépendance amoureuse s'incarnent ici dans des titres comme "Il n'y pas d'amour heureux" (adaptation du poème d'Aragon), "La fin de l'été" ou "Voilà". Quant à "Ma jeunesse fout le camp", écrit et composé par Guy Bontempelli que Françoise Hardy a connu sur les bancs du Petit Conservatoire de Mireille, il évoque encore le temps qui court et fuit plus vite que son ombre.

Guitare acoustique et violons accompagnent la voix doucement mélancolique d'une Hardy qui s'enveloppe entièrement dans une nostalgie poétique en chantant: "Ma jeunesse fout l'camp/ Tout au long d'un poème/ Et d'une rime à l'autre/ Elle va bras ballants/ Ma jeunesse fout l'camp/ A la morte fontaine/ Et les coupeurs d'osier/ Moissonnent mes vingt ans".

Chapitre 7
"Comment te dire adieu" (1968)

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Après une nouvelle parenthèse discographique en anglais, Françoise Hardy revient avec un neuvième enregistrement publié en décembre 1968. Au recto, elle apparaît dessinée avec style par Jean-Paul Goude alors qu'au verso elle se voit encore prise en photo par Jean-Marie Périer.

"Comment te dire adieu", tube immédiat de ce 33 tours, est une adaptation d'un instrumental d'Arnold Goland intitulé "It's Hurts to Say Goodbye" auquel Françoise Hardy succombe devant l'efficacité. Elle décide de contacter sans trop d'espoir Serge Gainsbourg pour en signer le texte.

Il accepte contre toute attente et délivre cet exercice de style où les rimes en "ex" confèrent une modernité inédite aux paroles mélancoliques d'une chanson aux rythmes pop entraînants. L'évocation de l'amour finissant débutant ainsi: "Sous aucun prétexte/ Je ne veux/ Avoir de réflexes/ Malheureux/ Il faut que tu m'expliques/ Un peu mieux/ Comment te dire adieu".

Dans la foulée, Gainsbourg offre à Hardy un autre titre pour cet album, l'extraordinaire "L'anamour".