Résumé de l’article

  • Le label Checker, filiale de Chess Records à Chicago, a révolutionné le gospel en y intégrant des éléments de soul dans les années 60-70.
  • Cette fusion musicale, appelée "gospel soul", visait à attirer un public afro-américain plus jeune tout en conservant des paroles pieuses.
  • Le catalogue Checker reflétait aussi l'évolution sociopolitique de la communauté noire, avec des titres évoquant la lutte pour les droits civiques.
  • Une nouvelle compilation vinyle, "Life In Heaven Is Free", redonne vie à ce patrimoine musical en partie détruit lors d'un incendie en 2008.
  • A Chicago, le label Checker faisait danser le gospel avec la soul

    Life In Heaven Is Free (Checker Gospel 1961​-​1973). [honestjonsrecords.bandcamp.com/ - Honest Jon's Records]
    A Chicago, Chess inventa le gospel soul / L'Actu Musique / 14 min. / le 9 janvier 2025
    "Life In Heaven Is Free" dévoile un pan aussi torride que sensuel de la musique religieuse afro-américaine. A Chicago dans les années 1960 et 1970, les frères Chess, maîtres du blues et du rock'n'roll, avaient aussi l'oreille fine en matière de gospel. Leur catalogue Checker est un trésor à nouveau révélé.

    La soul est fille du gospel. Une évidence: quasi la majorité des stars du genre a débuté à la chorale de la paroisse. Aretha Franklin, Otis Redding, Stevie Wonder, Whitney Houston, Beyoncé… la liste est longue. De même, la soul n'a eu de cesse de s'inspirer du répertoire sacré afro-américain, qu'il s'agisse de ses mélodies, d'une manière d'atteindre la transe ou encore de cet art du répons entre un pasteur et ses ouailles. Certains ont même passé leur temps dans un ballet d'aller et retour entre le cabaret et la sacristie, à l'image d'Al Green et Solomon Burke, pasteurs de leur propre congrégation et grands noms de la soul la plus sensuelle.

    A l'inverse, le gospel se rebaptise volontiers dans la soul. Ça, on le sait moins. L'histoire a plutôt retenu les moues indignées de la congrégation lorsque l'un de ses membres se pique de vouloir chanter l'amour charnel plutôt que spirituel. Avant de briser les cœurs des adolescentes avec "You Send Me", Sam Cooke brisa celui de ses propres paroissiens de la Church of Christ lorsqu'il quitta les pieux Soul Stirrers en 1956 pour arpenter le chemin du pêché.

    Deux frères à l'origine de Chess Records

    A Chicago, les frères Phil et Leonard Chess, deux immigrés d’Europe de l’Est, se lancèrent dans le business de la musique afro-américaine dès 1947, avec la maison de disques Aristocrat, puis un label à leur nom, Chess Records. Le logo au cavalier est devenu célèbre. On lui doit le succès des bluesmen Muddy Waters et Buddy Guy puis le triomphe des rockers Chuck Berry et Bo Diddley. Aujourd’hui, leur ancienne adresse, 2120 Michigan Avenue, est devenue musée et lieu de pèlerinage pour mélomanes.

    Les ingrédients du succès

    La recette du succès Chess? Un bon studio d’enregistrement, la crème des musiciens à disposition, des ingénieurs à l’oreille aiguisée et un bon sens des affaires. Les disques de gospel se vendant très bien, la fratrie investit ce marché avec un sous-label nommé Checker. Ils distribuent d’abord durant les sermons d’un certain C.L. Franklin, le papa révérend des sœurs Aretha, Carolyn et Erma.

    Le succès de Sam Cooke les pousse à explorer une voie musicale à destination des plus jeunes générations de la communauté afro-américaine. La gospel soul est née. Checker est son berceau. Les producteurs Ralph Bass et Monk Higgins orchestrent le nouveau culte. L’idée: des paroles pieuses sur une musique aussi sexy que celle de Wilson Pickett.

    En phase avec la lutte pour les droits civiques


    Checker ne va pas se contenter d’enregistrer du gospel qui remue les fessiers du public de l’Apollo Theater, il accompagne aussi l’évolution socio-politique de la communauté afro-américaine. Martin Luther King est là: la rédemption religieuse marche de pair avec la lutte pour les droits civiques. Certains tubes gospel de Checker portent des titres évocateurs: "Stand up America, Don’t Be Afraid" ou encore "I’m Fighting For My Rights".

    Des merveilles parties en fumée

    En 2008, le fabuleux catalogue Checker était stocké dans un vaste entrepôt californien appartenant à Universal, détentrice actuelle des droits musicaux. Un incendie, un de plus en Californie, a réduit ces merveilles en cendres. Restent les vinyles originaux d’occasion, les repiquages sur Youtube par les fans et désormais cette compilation miraculeuse: "Life In Heaven Is Free" parue chez les Londoniens affûtés de Honest Jon’s, déjà responsables d’une triple compilation d’un autre label gospel, Savoy.

    Cette livraison n’existe que sous la forme d’un double album vinyle. Si vous n’avez pas ou plus de tourne-disques, peut-être est-il venu le temps de vous convertir. "Groovin’ with Jesus", chantent The Violinaires.

    Thierry Sartoretti/mh

    "Life In Heaven Is Free" - Checker Gospel 1961-1973 (Honest Jon’s Records). Sorti le 15 novembre 2024.

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