Résumé de l’article
Le "Boléro" de Ravel, une oeuvre extraordinairement fertile et disputée
L'année 2025 marque les 150 ans de la naissance de Maurice Ravel. De nombreux concerts et expositions sont d'ores et déjà dédiés au compositeur, parmi lesquels "Ravel Boléro", qui se tient jusqu'au 15 juin 2025 à la Philharmonie de Paris. En explorant la genèse et la composition de son oeuvre la plus célèbre, l'exposition dresse un portrait kaléidoscopique du compositeur français.
Près d'un siècle après sa composition, la pièce ne cesse d'inspirer les artistes, musiciens ou chorégraphes, à l'image de Dominique Brun, qui propose actuellement une nouvelle interprétation du "Boléro", jouant sur la résistance du corps à la structure musicale. Entêtant par son rythme implacable, l'oeuvre contient une dimension véritablement industrielle, rappelle l'exposition "Ravel Boléro".
"On ne sait pas quels éléments mécaniques auraient pu influencer le 'Boléro'. Par contre, on connaît dès 1905 la fascination [de Ravel] pour les paysages industriels. Suite à ses échecs au Prix de Rome, il fait une croisière sur le Rhin. Il traverse la Ruhr et est fasciné par le spectacle, littéralement, des usines et des cheminées", indique Lucie Kayas, conseillère musicale et autrice des textes de l'exposition parisienne, dans l'émission L'écho des pavanes du 11 janvier.
Comment vous dire l'impression de ces châteaux de fonte, de ces cathédrales incandescentes, de la merveilleuse symphonie des courroies, des sifflets, des formidables coups de marteau qui vous enveloppent.
Une oeuvre musicale de précision
Influencé par les dessins techniques de son père ingénieur et par son goût de la mécanique bien huilée, Maurice Ravel conçoit son ballet pour orchestre "Boléro", une oeuvre de commande, comme une machine. L'anthropologue Claude Lévi-Strauss, qui lui a consacré une analyse détaillée dans son ouvrage "L'homme nu" (1971), considérait l'oeuvre comme une "fugue dépliée dans le temps". Pour Lucie Kayas, la structure de la partition ne suffit pas à elle seule à expliquer à quel point le "Boléro" est en tout point précisément ciselé.
"Mon idée a été de montrer que le crescendo se fait aussi bien sur les mélodies en faisant entrer les instruments d'abord un par un, par deux, par quatre, et puis on repart. (...) On fait entrer le trombone tout seul et on redémarre le crescendo côté mélodie, mais côté ostinato aussi. C'est-à-dire que curieusement, la caisse claire, elle, joue de A à Z, mais la flûte qui a fait la première mélodie fait ensuite des notes répétées et reprend le fameux ostinato. Puis il y a le basson, le cor, la trompette, etc. Et on s'aperçoit qu'à partir de là, les cors deviennent la base de l'ostinato, qui lui aussi est traité en crescendo. Donc il y a cette espèce d'explosion dans les deux sens", explique la musicologue.
Lorsque Ravel compose son Boléro, en 1928, il est alors au sommet de sa gloire. La danseuse Ida Rubinstein, qui lui a commandé l'oeuvre, en assure la production et la création. La chorégraphie est signée Bronislava Nijinska, les costumes et les décors, Alexandre Benois. Le spectacle est un triomphe, qui ne se démentira pas.
Aujourd'hui, on dit qu'une interprétation publique du "Boléro" commence quelque part dans le monde toutes les dix minutes. Une oeuvre lucrative donc, qui alimente sans peine les conflits autour de son héritage, financier cette fois (lire encadré).
Propos recueillis par David Christoffel et Benoît Perrier
Adaptation web: Melissa Härtel
Exposition "Ravel Boléro", Philharmonie de Paris, jusqu'au 15 juin 2025.
La dispute autour des droits sur le "Boléro" repart de plus belle
En juin 2024, la justice française a débouté les ayants droit de Maurice Ravel et du décorateur russe Alexandre Benois, qui demandaient de reconnaître ce dernier comme coauteur du célèbre "Boléro". La décision de justice indiquait que l'oeuvre resterait donc dans le domaine public. Si la Sacem (Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique) avait reconnu Alexandre Benois comme coauteur, cela aurait eu pour conséquence de protéger l'œuvre jusqu'au 1er mai 2039, le décorateur étant décédé en 1960.
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"Pendant de nombreuses années, il faut se représenter que le 'Boléro' était l'une des œuvres les plus exportées dans le monde. On dit que [les droits] se situent entre 1 et 1,5 million d'euros par année. Depuis que [l'oeuvre] est entrée dans le domaine public, les chiffres se sont naturellement abaissés et, officiellement, ils sont de l'ordre de 135'000 euros", indique Fabien Caux-Lahalle, auteur du documentaire "Qui a volé le Boléro de Ravel?"
Mais l'histoire est loin d'être terminée. Car l'on vient d'apprendre que les successions Ravel et Benois ont fait appel du jugement délivré en juin 2024 par le Tribunal de grande instance de Nanterre. Un nouveau procès est donc attendu, probablement sans décision avant 2026.
"Alors que nous allons célébrer en 2025 les 150 ans de la naissance de Ravel et sa mémoire, il est assez stupéfiant que ses propres ayants droit l'offensent, cette mémoire", conclut Fabien Caux-Lahalle.