Rap, le succès en 3 lettres

Grand Format

facebook.com/OfficialMHD - Elisa Parron

Introduction

De l'anonymat au Montreux Jazz Festival (MJF), retour sur l'ascension fulgurante de PNL et MHD.

Du rap à Montreux

Juillet 1995, premier concert de rap français au Montreux Jazz. Le festival accueille NTM, groupe pionnier d'un genre musical alors en plein développement, mais considéré par certains comme alternatif et éphémère.

Ensemble depuis 1988, les deux chanteurs JoeyStarr et Kool Shen ne sont pas des nouveaux venus. Ils ont déjà sorti trois albums et écumé moult scènes et plateaux TV avant d’en arriver là.

>> Retour en archives sur 50 ans de rap au Montreux Jazz Festival :

#swisscoast
RTSculture - Publié le 25 juin 2016

Juillet 2016, énième concert de rap français au Montreux Jazz. Ce courant musical est désormais ultra-populaire, mais les lettres se comptent toujours sur trois doigts.

Cette fois, c’est PNL et MHD qui se retrouvent en haut de l’affiche. Eux qui ne s’y voyaient probablement pas il y a quelques mois encore. Eux qui étaient inconnus du grand public, voire même des amateurs de rap il y a tout juste un an… Retour sur deux ascensions fulgurantes, de l'anonymat à l’un des festivals musicaux les plus prestigieux du monde, dont le nom compte aussi trois lettres... MJF!

MHD. [montreuxjazzfestival.com - Elisa Parron]
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PNL. [facebook.com/Pnlmusic]
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1 an plutôt

PNL: Peace'N'Lovés, paix et argent, les "lovés" signifiant les sous. Composé d'Ademo et N.O.S, deux frères prétrentenaires originaires de l’Essonne en banlieue parisienne, le groupe était encore inconnu du grand public avant l’été 2015. Dans un premier temps, c’est en solo que chacun va tenter l’aventure, sans succès. Puis vient la création du groupe, et des débuts pas forcément plus probants. En effet, si l’on s’en réfère aux premiers clips postés sur leur chaîne YouTube officielle, la "formule PNL" n’est pas encore tout à fait au point.

L'album "Que la famille" sort en mars 2015 dans la confidentialité la plus totale, sans passages radio ou télévision, ni articles dans de grands médias. Pourtant, à défaut d’être commercial, un succès d’estime va se dessiner petit à petit. On commence à apercevoir les initiales du groupe apparaître çà et là, au coin d’un tweet ou d’un partage Facebook. Rien de transcendantal, mais une première salve qui prépare le terrain pour l’obus suivant: le clip du titre "Le monde ou rien", tourné à la Scampia, cette cité italienne rendue célèbre par la série mafieuse "Gomorra".

L’œuvre annonçant leur deuxième album, "Le monde Chico", va exploser tous les compteurs et faire connaître PNL auprès d’une audience bien plus large.

MHD, le phénomène Afro Trap

MHD ou Mohamed. C'est son prénom au civil. Le jeune d’origine sénégalo-guinéenne, né en 1994 et ayant grandi dans le 19e arrondissement de Paris, livrait encore des pizzas il y a quelques mois. À l'inverse de PNL, MHD passe du groupe, 19 Réseaux, à la carrière solo. Comme il le répète en interview, c’est un "freestyle" filmé via son smartphone dans une chambre d’hôtel qui va lancer sa carrière. L’engouement est immédiat, comme le montre le nombre généreux de partages sur les réseaux sociaux.

MHD lui-même ne le sait probablement pas à ce moment-là, mais l'"Afro Trap" est en train de naître. Elle voit officiellement le jour quelque temps plus tard, le 29 septembre 2015, avec la sortie du clip "Afro Trap part.1", version mise en boîte du fameux "freestyle" originel. L’enthousiasme se confirme alors: la vidéo cumule les centaines de milliers de vues en quelques semaines et lance ainsi un nouveau mouvement.

Les raisons du succès

Qu’est-ce qui a permis à PNL et MHD de faire, en une année, ce que d’aucuns mettent une décennie à réaliser: intégrer la programmation du Montreux Jazz Festival?

>> L'interview de Mathieu Monnier, co-programmateur du Montreux Jazz Lab :

L'enseigne lumineuse du Montreux Jazz Festival 2016. [RTS - Jérôme Genet]RTS - Jérôme Genet
RTSCulture - Publié le 8 juillet 2016

"Nouveaux" sous-genres

Il y a évidemment l’innovation. Dans les deux cas, les artistes ont su amener un vent de fraîcheur sur un rap français qui tendait à s’enliser dans la mouvance trap, importée et popularisée début 2013 par des rappeurs comme Kaaris, puis essorée jusqu’à la dernière goutte d’originalité.

MHD a inventé l’"Afro Trap" en mélangeant rap actuel et sonorités africaines. Ou plutôt, il a livré une version moderne d’une tradition franco-africaine qui n'est pas née d’hier. En effet, à la fin des années 1990 déjà, le groupe Bisso Na Bisso, composé de stars du rap de l’époque gravitant autour du label Secteur Ä, teintait ses rythmes d’une touche de rumba congolaise. Dans les années 2000, c’est Mokobé du groupe 113 qui rappait sur du "coupé-décalé". Tandis qu’au début de cette décennie, les membres de la Sexion d’Assaut (dont Maître Gims et Black M) revendiquaient leurs origines sur des beats rappelant leurs racines subsahariennes…

En réalité donc, MHD n’a fait "que" d’emboîter le pas (de danse) à ses prédécesseurs, en donnant au passage un nom ô combien vendeur à son "invention".

Là où MHD a eu la bonne idée de créer une nouvelle catégorie pour promouvoir son produit comme étant "dernier cri", PNL a laissé au public et aux médias le soin de rattacher son style à un sous-genre américain appelé "Cloud Rap", relativement inédit en français jusqu’alors. Relativement, car à bien y regarder, ici aussi d’autres avant les frères du 91 s’étaient essayés à des récits d’évasion, aériens, remplis de doutes et d’effets vocaux. Ce fut le cas notamment de Canardo, cadet du rappeur La Fouine, qui en 2010 déjà avait tenté un virage musical, peu compris à l’époque, mais qui sonne aujourd’hui tout à fait dans l’air du temps.

Le débit y est plus soutenu que chez PNL et la musique respire donc moins, mais refuser d’y voir les prémisses du "rap nuageux" serait de la mauvaise foi. PNL, de son côté, a misé sur une scansion bien plus minimaliste, abrégée comme leur nom.

Les textes

Le rap, comme son nom l’indique, ce sont surtout des paroles ("To rap" en argot américain signifie parler).

Au quartier : les block-parties ou le spleen encimenté

Pour MHD, la parole est tout aussi légère que la démarche artistique. Il avoue d’ailleurs écrire la plupart de ses morceaux en quinze minutes. On n’est pas loin de l’écriture automatique. Le contenu des textes n’est pas très complexe, comme le prouvent les premiers titres des morceaux qui prennent tous le nom d’Afro Trap suivi d’un numéro.

On m'a dit qu'j'étais le prince, maintenant j'peux plus m'arrêter / Gros t'as fumé ma moula, arrête tes palabres / T'es dans les bouchons, moi j'suis seul dans mon couloir [...] Libérez nos potos, ça fait déjà longtemps / Ouais, ça fait déjà longtemps / Que t'aimes ou t'aimes pas, j'vais rester le même

Un extrait du premier couplet de "Afro Trap par.6" de MHD

Le jeune rappeur écrit sur les mêmes thèmes que ceux des générations précédentes dans le hip-hop français: fumer de la moula (de l’herbe), faire de l’argent et avertir les jaloux que leur attitude irrespectueuse risque d’avoir de sérieuses conséquences. À cela viennent s’ajouter des références constantes au monde du football. Le tout est bien sûr rempli de mots et de références qu’il est parfois impossible de comprendre si l'on ne connaît pas l’argot des quartiers. L'utilisation d’un argot qui n’est compréhensible que par les initiés est d'ailleurs presque le seul point commun entre MHD et PNL.

Pour PNL, les paroles s’articulent surtout autour du mal de vivre des jeunes de cité. Le fatalisme est de mise et on est loin de l’ambiance festive de MHD. Les deux frères reviennent régulièrement sur le besoin de faire ce qu’il faut pour s’en sortir, même si ce n’est pas une fierté.

Comme l’indique le titre de leur premier album, "Que la famille", le clan est primordial. Mais cela non plus, ce n’est pas une nouveauté dans le hip-hop.

Et j'suis la pomme pourrie qui s'écarte du panier / J'nique ma solitude tant que les poches sont bien accompagnées [...] Faut pas t'en faire chico relève la tête la misère m'emmène en balade / Remballe ton échelle au fond du trou j'empile mes péchés j'escalade

Un extrait du deuxième couplet de "Le monde ou rien" de PNL

Clips idéaux

Ce qui fait la force des deux artistes, ce sont aussi leurs vidéoclips, toujours en parfait accord avec leurs textes.

PNL, par exemple, a su traduire en images son spleen aérien: décors tantôt urbains, tantôt naturels, jungles de béton et/ou étendues désertes, rarement joyeuses, souvent désolées et désolantes. La vie de quartier, brute et moche, mais filmée via caméras HD et drones high-tech, puis étalonnée. Comme l'illustre le clip du titre "DA" par exemple.

Des ralentis calés sur la lenteur des BPM, la longueur des journées passées au fond du hall à fourguer de la drogue en culpabilisant. Ou les vacances payées avec l’argent de cette même drogue, sans jamais vraiment avoir l'air de s’amuser.

À l’inverse, MHD a réussi à illustrer une certaine joie de vivre en bas des tours. Celle-ci semble alors se cultiver dans les choses simples, comme effectuer un pas de danse avec ses potes, au coin de la rue ou dans une boîte de nuit.

La réalisation des vidéos du rappeur est moins léchée, mais là encore, elle est en adéquation avec son rap, très spontané. Cette méthode sans prise de tête permet ainsi de miser sur la quantité, MHD ayant sorti un total de neuf clips en moins de dix mois.

Foot et chorégraphies vs. communication zéro

Dans le hip-hop, une des meilleures publicité a longtemps été la longueur du casier judiciaire, mais avec le temps, il a fallu trouver de nouvelles manières de faire la promotion de son art. Et là, nos deux artistes ont chacun trouvé des méthodes efficaces et inédites pour y arriver.

Chez MHD, la publicité passe par le monde du football, constamment référencé dans ses textes: "J’ai le brassard", pour dire qu’il est le capitaine de l’équipe et donc le patron, ou des refrains tels que "Paname, c’est la Champions League".

Ces paroles ont tout de suite résonné aux oreilles des joueurs de football français dans le monde entier, qui ont spontanément repris les pas de danse de MHD comme célébration à chaque but marqué. Comme publicité gratuite, on a rarement fait mieux!

Pour PNL, la méthode a été celle du silence radio. Ils n'ont donné aucune interview à aucun média. Cette aura de mystère aurait pu être considérée comme hautaine, mais elle a au contraire parfaitement fonctionné. Une nouvelle fois, cette méthode résonne dans le cœur des jeunes de cité qui ont depuis longtemps opté pour une attitude se résumant par "vous ne voulez pas de nous, eh bien nous non plus. On est bien entre nous". Bref, le fameux "Que de la famille" de PNL.

Le rêve francilien

facebook.com/Pnlmusic

Là où les autres avaient échoué,  PNL et MHD sont parvenus à transformer l’essai de la meilleure des manières.

A partir du milieu des années 2000, une grande partie du rap français s’était fermé les portes des grands médias en optant pour une orientation très street, trop rue et rugueuse pour dépasser un public d’initiés. En réaction, quelques artistes avaient ponctuellement tenté d’atteindre une audience plus large en proposant une certaine ouverture musicale. Canardo et Mokobé en furent, tel que mentionné précédemment.

Mais là où le premier avait probablement été perçu comme  "trop" commercial par son public de base, "trop" chanteur du jour au lendemain, et là où le second avait certainement été jugé "trop" africain, "trop" danseur/ambianceur et ne représentant plus que son continent d’origine, PNL et MHD sont quant à eux parvenus à proposer le bon compromis. Sur le modèle thèse-antithèse-synthèse, les deux entités ont su prendre le meilleur de chaque monde, en conservant leur authenticité et un côté brut tout en offrant juste ce qu’il faut d’évasion et d’encanaillement, voire d’exotisme.

Outre cela, le succès se mesure évidemment en termes de ventes. Et les chiffres parlent en faveur de PNL et MHD, puisqu’ils ont respectivement écoulé 15'818 exemplaires du "Le Monde chico" et 12'695 de "MHD" à chaque première semaine d’exploitation. Les frères du 91 sont d’ailleurs déjà disque d’or. A ce rythme, le second devrait le devenir aussi prochainement… Ainsi, tous deux semblent vraiment prospérer. Tellement prospérer que leurs ascensions fulgurantes ont abouti en une année à une programmation au MJF. Décidément, entre le rap et ce dernier, la consécration paraît réellement s’écrire en trois lettres…

Un sujet proposé par Dynamike et Geos

Réalisation web Sylvie Ravussin et Lara Donnet