Si les rappeuses comptaient parmi elles des figures comme Diam’s dans les années 2000, le début des années 2010 fut plus compliqué. Mais elles semblent revenir au devant de la scène.
2016: le retour ?
Depuis 2016, on observe enfin un certain retour des rappeuses francophones. Outre Keny Arkana, qui a sorti en mai dernier le 6 titres "État d’urgence" (en rapport avec la situation française post-attentats), d’autres rappeuses pointent le bout de leur micro. Et elles ne viennent plus de France seulement, mais aussi de Belgique et Suisse.
Petit tour d’horizon en deux portraits qui brisent le plafond de verre. Seront-elles de futures figures tutélaires pour des milliers de jeunes filles ?
Sianna a grandi à Beauvais, en France. D’origine malienne, adoptée, elle entretient un rapport particulier aux différents territoires du globe. Dans son "Tour du monde en freestyle" entamé en 2014, par exemple, elle matérialise une certaine soif de découverte. De l’Inde à la Russie en passant par le Maghreb, chaque étape est prétexte à rapper sur des sonorités différentes. Sianna livre ainsi une collection de clips originaux, probable allégorie de sa condition de nomade, que l’adoption a contribué à créer.
En mars 2015, la rappeuse sort un projet éponyme de huit titres. Le retentissement médiatique est relatif, mais Sianna acquiert une crédibilité artistique et obtient la validation de ses pairs.
Cette étape est importante dans le milieu du rap, peut-être encore plus pour les rappeuses. En l’absence de figures féminines emblématiques et – c’est lié – d’une réelle culture d’un rap fait par des femmes qui serait définitivement accepté de la part du public, ces dernières ont effectivement de la peine à percer sans le parrainage d’un collègue masculin. C’est malheureux. Mais paradoxalement, les rééquilibrages de cette asymétrie tendent aussi à atténuer (un peu) le problème du sexisme structurel dans ce courant musical.
Dans le cas de Sianna, quand le rappeur Mac Tyer déclare publiquement qu’elle va "marquer le rap français", ou quand Booba – encore lui – la prend pour faire la première partie de sa tournée en 2015, on pourrait considérer ces coups de pouce comme des (micro) actes féministes. Rien n’obligeait ces artistes confirmés à le faire.
Évidemment, Sianna ne va pas manquer ces opportunités. Et de concerts en vidéoclips, elle va progressivement construire son identité, celle d’une rappeuse parfois nostalgique, souvent optimiste, mais qui "kicke" toujours.
Elle vient d’ailleurs de sortir son premier album, "Diamant noir", dont le titre est un bel hommage à Diam’s. Comme cette dernière, Sianna aimerait "traumatiser" le rapgame. Le choix des sonorités et la multitude de refrains chantés (dans la même veine que Maître Gims ou Black M), ainsi que son changement d’apparence qui embrasse une féminité plus normée – adieu les lunettes et le bob – témoignent en effet d’une volonté de toucher un public plus large. Et même si les chiffres de vente indiquent que la partie n’est pas encore gagnée, il ne faut pas oublier que Sianna est en début de vingtaine. Cela lui laisse encore le temps de tailler la pierre qu’elle est en train d’apporter à l’édifice du rap français.
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La Gale et KT Gorique, couteaux suisses
Enfin, le cas suisse est intéressant car il est un peu plus contrasté, à tous niveaux. Si aucune rappeuse helvétique n’a jamais vraiment percé dans le monde de la musique francophone, deux d’entre elles, La Gale et KT Gorique, ont quand même su attirer l’attention ces dernières années. Justement dans cette première moitié de décennie, supposée "maudite".
Autre nuance de taille: ce n’est pas en tant que rappeuses qu’elles ont fait le plus parler d’elles, mais en tant qu’actrices (ce qui au final tendrait à confirmer comme quoi le début des années 2010 a été dur pour le rap féminin).
La première vient de Lausanne. Issue du milieu punk, La Gale délivre un rap qui sent le souffre et l’insoumission. C’est grâce à son énergie et à cette identité rebelle que le groupe parisien La Rumeur – réputé aussi pour être sans concessions – l’embauche pour jouer le rôle principal dans son téléfilm "De l’encre". L’œuvre, dans laquelle La Gale campe précisément une rappeuse, est diffusée en 2011 sur Canal+. Logiquement, cela lui ouvre les portes d’autres projets cinématographiques, et surtout, cela lui offre une belle exposition pour sa musique. Elle sortira deux disques, un éponyme en 2012 et "Salem City Rockers" en 2015. Et elle écumera les scènes – sombres et poussiéreuses de préférence.
La Gale a annoncé préparer un EP pour la fin d’année 2017, ce qui ajouterait une solide corde à l’arc du rap féminin qui revient en force.
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Quant à KT Gorique, la rappeuse de Martigny n’a jamais vraiment cessé d’être active. Celle qui rappe depuis ses 12 ans n’imaginait sûrement pas se retrouver en finale mondiale du concours d’improvisation rap End of the Weak neuf ans plus tard, en 2012. Et encore moins devenir la première femme à le remporter.
Comme pour La Gale, son aura va ensuite lui ouvrir les portes du cinéma : elle jouera en 2015 le rôle de la rappeuse Brooklyn, dans le film du même nom réalisé par Pascal Tessaud. Et comme sa collègue vaudoise, elle profitera de l’écho médiatique pour faire entendre ses chansons auprès d’un public plus large.
Son premier album "Tentative de survie" (sorti en 2016) fait la part belle au rap oldschool. Et KT compte déjà revenir ce printemps avec une mixtape intitulée "ORA", conceptualisée sous la forme d’un conte rappé, en hommage à la tradition des griots africains.
2017 : welcome back !
La question des figures tutélaires est cruciale pour les groupes minorisés, quels qu’ils soient. Dans un milieu comme le rap – et pas uniquement francophone –, les hommes ont toujours constitué l’écrasante majorité. Les jeunes auditeurs ont ainsi constamment pu s’identifier à différentes idoles, s’inspirer de leurs parcours, trouver le courage de se lancer à leur tour et poursuivre leurs rêves, dans la musique comme en dehors. Mais il en est tout autrement concernant les jeunes auditrices de rap, qui ont rarement eu une abondance de figures féminines auxquelles se référer.
Bien que cette tendance soit valable à l’international, il faut rappeler que la situation francophone demeure particulièrement mauvaise. Aux États-Unis par exemple, même si la proportion de rappeuses reste réduite, il y a toujours eu des superstars comme Missy Elliott, Lil’Kim, ou plus récemment Nicki Minaj – qui devenait en février dernier la deuxième femme avec le plus de hits dans le Top 100, derrière Aretha Franklin mais devant Taylor Swift (artiste pop-country). Du côté de l’Angleterre, M.I.A a depuis longtemps fait parler d’elle au niveau mondial, et des rappeuses plus jeunes comme Little Simz, Nadia Rose, Lady Leshurr ou Stefflon Don tournent beaucoup et apparaissent régulièrement dans les médias de références (MTV, BBC).
Tandis que pour le monde francophone, encore une fois, il faut regarder sur différents pays pour trouver des rappeuses à fort potentiel. Telle une spirale négative, le départ de Diam’s et le profil bas successif de Keny Arkana ont suscité un manque de modèles à la fin des années 2000, une invisibilisation des rappeuses, et n’ont pas permis de réel passage de flambeau au début des années 2010.
Heureusement cependant, comme un phénix qui renaît de ses cendres, le rap féminin opère un retour depuis quelque temps, avec Shay, Sianna, La Gale et KT Gorique. Entre autres, car à celles-ci viennent s’ajouter de nouvelles venues, comme la rappeuse-chanteuse Chilla, qui n’hésite pas à aborder frontalement les questions de genre.
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La rappeuse s'est aussi distinguée en janvier dernier avec une lettre chantée de ras-le-bol en vidéo adressée au président français François Hollande qui mettait en exergue la colère de la jeunesse face à la politique et aux hommes politiques.
Et si Diam’s ne semble pas disposée à remettre les pieds dans ce milieu, le retour de Keny Arkana devrait en appeler d’autres, dont celui de Casey – autre icône de l’underground des années 2000 – qui après un passage par le rock a annoncé un projet rap pour bientôt.
Tant mieux, car dans ce monde du rap qui laisse trop souvent s’exprimer le sexisme et la misogynie, la présence de femmes actives est plus que nécessaire. Comparée aux dernières années, la tendance actuelle est alors réellement encourageante. Plus on sera de folles, plus on pourra rire.