C'est en 1974 que Laurie Anderson s’installe dans une rue de New York. Elle est chaussée de patins à glace dont les lames sont prises dans des blocs de glace. Elle joue seule en duo avec un violon modifié – un haut-parleur diffuse une deuxième voix enregistrée, comme un "faux ventriloque".
Ce n’est pas le morceau qui décide de la fin de la performance, mais les lois de la physique: "Duets on Ice" se termine quand la glace a fondu et que les lames des patins touchent le trottoir.
Sortir des cadres artistiques
La performance artistique est née dans les années 1960, principalement grâce au mouvement Fluxus qui voulait sortir le théâtre, la musique ou l’art de leur cadre avec des happenings, des représentations en direct et des actions de rue.
L’idée prime l’œuvre. Des plasticiens et des musiciens comme Joseph Beuys, John Cage, Charlotte Moorman ou le Suisse Dieter Meier, en étaient convaincus: l’art et la vie ne font qu’un.
Faute de mieux: la performance artistique
Avec le titre "O Superman", numéro 2 dans les charts britanniques, le grand public découvre la performance artistique.
Je n’ai aucune idée de ce que la performance artistique est censée être. C’est un mot encombrant, il résonne à mes oreilles comme une mauvaise traduction. Certains parlent de performance quand ils ne savent pas comment nommer ce qu’ils font.
Abolir les frontières fait partie de la performance
Un drôle de mot pour une discipline artistique inclassable, la performance mêle différentes formes de création et de processus artistiques: image, son, vidéo, parole, danse, musique et art conceptuel.
Pour Cathy van Eck, performeuse (artiste sonore) et enseignante à la Haute école des arts de Berne, il faut abolir les frontières: "la question est: qu’est-ce que la musique, où elle commence et où elle finit. S’agissant de la musique, la question est de savoir comment naissent les sons, pas de savoir si la musique est belle".
L’art associe le son et le corps
Pour le compositeur et performer suisse Leo Hofmann aussi, le lien entre le son et le corps est essentiel: dans "The Reply", il interagit sur scène avec un autre performeur dont l’image apparaît sur un écran grâce à un vidéoprojecteur.
The Reply from Leo Hofmann on Vimeo.
La performance évoque un échange sur Skype. Le dialogue est composé non pas de mots, mais de mouvements: les deux artistes portent un bracelet équipé de capteurs qui réagissent aux mouvements et aux gestes et modifie les sons électroniques. Qui répond à qui, mystère.
Pour moi, la technique est plus une métaphore de l’instrument. La relation entre mes mouvements et le son ainsi créé doit toujours être transparente.
Expérience unique contre clics à répétition
Leo Hoffmann représente la jeune génération qui fait revivre la performance musicale. D’un côté, sa création se sert des médias sociaux comme Skype et Facebook. De l’autre, il évolue dans un monde où une vidéo YouTube est vite zappée et se reconnaît dans un moment live, dans toute sa durée et sa longueur. Sans autre clic.
Cathy von Eck y voit une force qui distingue la performance musicale des médias numériques d’aujourd’hui: "dans une performance musicale, il s’agit de situations jamais entendues ou vues auparavant. Ce genre d’expérience ne peut se vivre qu’en direct".
Theresa bayer/mcc
Cet article a été publié sur SRF Kultur le 5 juin 2017.
Les messages cosmiques de Laurie Anderson
Laurie Anderson détourne des instruments et porte volontiers un haut-parleur à même son corps. Comme son Pillow Speaker. Le haut-parleur est placé dans un oreiller pour écouter de la musique ou apprendre des langues pendant la nuit. Anderson place le haut-parleur dans sa bouche et la distanciation ainsi créée avec sa voix agit comme un message cryptique venu du cosmos.
Grâce à ce genre d’expérience, Laurie Anderson crée sa propre esthétique. Une tradition dans laquelle s’inscrit Cathy van Eck. Elle aussi se sert de son corps dans son travail de création.
Dans "Double Beat", elle se tient enceinte sur la scène et fait entendre des battements de cœur, les siens et ceux de son enfant à naître, grâce à une cellule magnétique: "les sons donnent un rythme de la vie que j’ai lentement mise en musique".