Le "Chant funèbre" d'Igor Stravinsky avait disparu dans le chaos de la révolution de 1917, comme plusieurs autres partitions laissées par le compositeur en Russie.
Croire que rien n’échappe au système de classification des archives des bibliothèques musicales du monde entier serait une erreur. De Venise à Saint-Pétersbourg en passant par Paris, qui sait combien de manuscrits n’ont jamais été répertoriés et dorment sur des étagères poussiéreuses. Il suffit de les trouver, et surtout d’avoir l’œil pour les reconnaître.
De la poussière, du sang et des larmes
C'est le fantasme de tout archiviste: errer dans les caves d’une bibliothèque, découvrir une pièce cachée et des piles de partitions oubliées, commencer à les feuilleter et se retrouver soudain avec un manuscrit dans les mains. D'abord le sang se fige dans les veines, puis les larmes montent aux yeux. L’œuvre disparue d’un maestro! C’était ainsi que le "Chant funèbre" d’Igor Stravinsky a été redécouvert.
Le retour à la lumière
Au printemps 2015, les archives du département musique de la bibliothèque du conservatoire de Saint-Pétersbourg doivent être déménagées. Il faut vider toutes les salles des piles de partitions et manuscrits qui y prennent la poussière depuis des lustres.
Et voilà, tout au fond d’une pièce, elles sont là: les parties d'orchestre des instruments complètes et jamais classées du "Chant funèbre" de Stravinsky.
Mais où pouvait-elle bien être?
Le compositeur regrettait amèrement la disparition de sa partition. C’est ainsi qu'il écrit dans ses mémoires: "malheureusement, la partition de cette œuvre s'est perdue pendant la révolution en Russie, comme tant d’autres que j’avais laissées là-bas."
Les partitions pour orchestre devraient se trouver encore dans une obscure bibliothèque d’un orchestre de Saint-Pétersbourg. J’espère que quelqu’un à Leningrad la recherchera un jour, car je serais moi-même curieux de voir ce que j’ai composé juste avant "L’oiseau de feu".
Pour le biographe de Stravinsky Bertrand Dermoncourt, le "Chant funèbre" est une œuvre majeure de Stravinsky, un premier travail très personnel. Selon lui, tout ce qu'il a composé avant était écrit sous diverses influences très marquées et s’inspire d’autres compositeurs et d’autres styles.
Cortège funèbre pour une idole
Stravinsky lui-même ne se souvenait plus de sa musique, mais il n’avait rien oublié de son intention: "je ne me souviens pas très bien de l’idée dans laquelle je l’avais conçue. C’était comme un cortège de tous les instruments de l’orchestre venant tour à tour déposer, en guise de couronne, sur le tombeau du maître, chacun sa mélodie, et cela sur un fond grave de murmures, en tremolo, à l’instar des vibrations des voix de basse chantant en chœur."
Le "maître" n’est autre que son cher professeur, Nicholas Rimski-Korsakov, à qui Stravinsky voulait rendre hommage avec ce chant funèbre.
Sa composition a été donnée en première suisse en août, dans le cadre du Festival de Lucerne.
Valerio Benz (SRF)/mcc
Cet article a été publié sur SRF Kultur.