Johnny, l'homme de feu

Grand Format

AFP - Bruno Fahy

Introduction

Etincelle, embrasement, incendie. Feu Johnny Hallyday a d'abord divisé les générations avant de les réunir.

L'étincelle

Le bébé du feu, c'est l'étincelle. Jean-Philippe Smet naît le 15 juin 1943 à Paris. L'enfant a huit mois quand son père abandonne le foyer tandis que sa mère, mannequin-cabine chez Lanvin, ne peut pas s'occuper de son enfant.

C'est donc sa tante paternelle qui l'élèvera avec ses deux filles, Desta et Menen, danseuses classiques, très souvent en tournée. Jean-Philippe les accompagne dans leur vie de nomade: inscrit à l'école des enfants du spectacle, il suit des cours par correspondance, apprend la danse classique, le violon, vit à Londres, puis à Genève où il suit des cours de guitare avec le maître José de Azpiazu.

Johnny Hallyday à ses tout débuts en 1953. [RTS/]
Johnny Hallyday à ses tout débuts en 1953. [RTS/]

Il monte officiellement sur scène pour la première fois le 13 juin 1956, en première partie du spectacle des Halliday, sa cousine Desta s'étant mariée avec un danseur américain, dont le nom de scène est Lee Halliday. Habillé en cow-boy, Jean-Philippe, déjà surnommé Johnny par son père de substitution, chante "Ballade de Davy Crockett" et s'accompagne à la guitare.

Premières flammes

Le chanteur Johnny Hallyday chante devant 3000 enfants enthousiastes qui assistaient ensuite à la première projection du film "Mandrin", dans la salle parisienne de l'Olympia le 13 décembre 1962. [AFP]
Le chanteur Johnny Hallyday chante devant 3000 enfants enthousiastes qui assistaient ensuite à la première projection du film "Mandrin", dans la salle parisienne de l'Olympia le 13 décembre 1962. [AFP]

La seconde naissance de celui qui désormais se fait appeler Johnny Hallyday (il hérite du second "y" suite à une faute de frappe) date du 18 avril 1960, sur le plateau de l'émission "L'école des vedettes". C'est sa première télévision.

Il a pour marraine Line Renaud, de retour de Las Vegas, qui se porte garante de son filleul. Johnny est timide, ses réponses monosyllabiques et son sourire encore craintif. Mais dès qu'il commence à danser et à se rouler par terre en chantant "Laisse les filles", la France du Général de Gaulle n'en croit pas ses yeux et ses oreilles. Johnny Hallyday fait entrer le rock en France et divise les générations.

Suite à sa prestation TV, son super 45 tours passe de 30'000 à 100'000 exemplaires et son impresario lui décroche de nombreux galas. Lors de sa tournée, se manifestent les premiers mouvements de foule, parfois de mini-émeutes. La presse unanimement hostile parle d'hystérie collective.

En septembre, durant trois semaines, il est programmé en vedette américaine d'un autre Belge, Raymond Devos. Son jeu de scène divise le public. Le balcon hurle de joie, le parterre le hue. Face à cette bataille, la direction veut le supprimer du programme. Raymond Devos s'y oppose.

L'embrasement

Alors que mai 68 est encore loin, Johnny Hallyday devient un phénomène. En quelques mois, l'idole des jeunes fait connaître le twist et en 1961, au cours du premier Festival mondial de rock'n'roll, sa prestation engendre bagarres et arrestations.

Les choses ne s'arrangent pas le 23 juin 1963. Place de la Nation, "Salut les Copains" galvanise 200'000 jeunes venus applaudir Richard Anthony, Danyel Gérard, Sylvie Vartan et Dick Rivers mais surtout Johnny Hallyday qui fête ses vingt ans. La polémique entre yéyés et "croulants" enclenche de folles colères.

Une partie de la presse s'émeut de cette jeunesse "sous mauvaise influence". François Mauriac parle de Johnny comme du "Malin", Philippe Bouvard estime qu'il n'y a pas de si grandes différences entre le twist du nouveau charmeur de la jeunesse et le discours d'Hitler au Reichstag.

"A travers le cas Johnny Hallyday, la France acclimate ainsi un débat mené aux Etats-Unis, où, pour les conservateurs, l'ascension du rock était supposée alimenter la délinquance juvénile et disloquer les valeurs familiales, tandis que la gauche critique l'accusait d'anesthésier la jeunesse aux applaudissements du Grand Capital", écrit Yves Santamaria dans "Johnny, sociologie d'un rocker".

Le chanteur Johnny Hallyday se produit sur la scène du Pavillon de Paris le 19 octobre 1979. [AFP - Joel Robine]
Le chanteur Johnny Hallyday se produit sur la scène du Pavillon de Paris le 19 octobre 1979. [AFP - Joel Robine]
1958: les vrais débuts de Johnny avec les premiers concerts au Golf-Drouot, un club parisien dans lequel il rencontre notamment Jacques Dutronc et Eddy Mitchell, aussi inconnus à l'époque. [Keystone - STR]
1958: les vrais débuts de Johnny avec les premiers concerts au Golf-Drouot, un club parisien dans lequel il rencontre notamment Jacques Dutronc et Eddy Mitchell, aussi inconnus à l'époque. [Keystone - STR]

L'incendie

Le scandale continue au début des années 70 avec une chanson écrite par Philippe Labro, "Jésus Christ", où Johnny dit que si "Le Christ vivait encore aujourd'hui, il serait hippie". Le titre est interdit d'antenne.

La décennie suivante transforme le chanteur en bête de scène, puis la rock star en icône, avec des shows de plus en plus spectaculaires, démesurés, performants. Bercy, Palais des Sport, Zénith, Stade de France, rien n'est assez grand pour lui. Sur scène, Johnny est tour à tour boxeur, Mad Max, Conan le Barbare, l'homme à la moto, l'ange aux yeux laser.

Le chanteur de rock et acteur français Johnny Hallyday se produit sur la scène du Palais Omnisport de Paris-Bercy (POPB), le 15 septembre 1992. [AFP - FRANCOIS XAVIER MARIT]
Le chanteur de rock et acteur français Johnny Hallyday se produit sur la scène du Palais Omnisport de Paris-Bercy (POPB), le 15 septembre 1992. [AFP - FRANCOIS XAVIER MARIT]

Ses fans adorent mais son image public s'écorne. Johnny devient un sujet de moquerie dans les shows satiriques, le prototype du beauf français pour les intellos et la tête de Turc des imitateurs qui le réduisent à "A que Johnny"...

Mais sa popularité, même dépréciative, ne fait que renforcer son statut de star.

Johnny à Montréal lors de sa tournée de 2012. [AFP - ROGERIO BARBOSA]
Johnny à Montréal lors de sa tournée de 2012. [AFP - ROGERIO BARBOSA]
Johnny à Bercy en septembre 2006. [AFP - FRED DUFOUR]
Johnny à Bercy en septembre 2006. [AFP - FRED DUFOUR]

Le feu de joie et d'artifices

Celui qui divisait la France dans les années 60 devient, à l'aube des années 2000, celui qui va la fédérer. Avec Johnny, il n'y a plus de conflit de générations, et c'est de grand-père en petit-fils qu'on se rend au concert. Ses chansons sont entrées dans la mémoire collective.

Johnny Hallyday, le 14 juillet 2009. [AFP - Mehdi Fedouach]
Johnny Hallyday, le 14 juillet 2009. [AFP - Mehdi Fedouach]

On respecte son magnétisme, sa voix restée belle malgré ses excès, son énergie, sa générosité et sa longévité, lui qui a connu huit présidents de la République. Il exprime une forme de pérennité dans un monde sans cesse en mouvement. Il incarne la France du bas qui a réussi à séduire le haut, comme Jean d'Ormesson, décédé la veille, incarnait la France du haut qui plaisait à celle du bas.

Le concert de Johnny, le 10 juin 2000, sur l'esplanade du Champ de Mars pour ses 40 ans de carrière [afp - AFP]
Le concert de Johnny, le 10 juin 2000, sur l'esplanade du Champ de Mars pour ses 40 ans de carrière [afp - AFP]

Depuis le nouveau millénaire, Johnny accompagne les moments heureux ou malheureux de la France, mettant le feu à la Tour Eiffel le 14 juillet 2000 pour ses quarante ans de carrière ou rendant hommage dans le froid aux victimes des attentats, le 10 janvier 2016, avec "Un dimanche de janvier".

"Allumer le feu" est devenu une chanson de ralliement, presque comme un second hymne national.

>> En plus: le dossier RTSCulture autour du décès du chanteur : Johnny Hallyday s'est éteint à 74 ans, un décès qui provoque une vague d'émotion

Crédits

Une proposition de Marie-Claude Martin.

RTS Culture

Décembre 2017