Rares sont les affiches de festival qui réunissent des membres d'une même famille. Et pourtant, à l'enseigne d'Antigel à Genève, une filiation s'est dessinée pour cette 8e édition. Jane Birkin et sa fille Charlotte Gainsbourg se succèdent ainsi sur scène à quelques jours d'intervalle avec, en figure tutélaire commune, Serge Gainsbourg.
La première, muse du chef-d'oeuvre "L'Histoire de Melody Nelson", reprend à nouveau le répertoire de celui qui a bouleversé le cours de sa vie un jour de 1968, alors qu'elle n'avait que 22 ans. La seconde présente quant à elle "Rest", troisième album studio où plane nettement le spectre de son père.
Toutes deux perpétuent à leur manière singulière la mémoire de l'homme à la tête de chou. Si Jane Birkin avait failli abandonner la chanson en 1991 quelques mois après la mort de son pygmalion Serge, elle n'a depuis cessé d'en reprendre et réorchestrer les titres. Avant l'album "A la légère" en 1998, la frêle Anglaise n'avait même fait qu'une seule infidélité à ses mots, aux côtés de Philippe Labro pour "Lolita Go Home" vingt-trois ans plus tôt. Une demi-infidélité toutefois puisque les musiques restaient signées Gainsbourg.
Malgré cela, Jane n'est jamais parvenue à couper le cordon gainsbourien. Comme une vie musicale menée par procuration, elle imagine d'abord de nouvelles versions orchestrales aux textes originaux du père de Charlotte sur "Arabesque" dès 1999. Un disque et un spectacle aux variations arabo-andalouses qu'elle promène à travers le monde durant plusieurs années. Des ambiances de mille et une nuits qui cèdent aujourd'hui leur place à une nouvelle cosmétique des métriques de Gainsbourg au côté des 48 instrumentistes de l'orchestre symphonique Confluences. A 71 ans ans, l'ex-fan des sixties ne tente même plus d'échapper à ce Gainsbourg qui lui a donné naissance dès "Je t'aime moi non plus".
Les murmures mélancoliques de Charlotte
Des relectures du bout des lèvres que ne reniera pas sa fille Charlotte Gainsbourg, dont le dernier album évoque la mémoire de Serge à la fois musicalement et textuellement. Sur "Rest", qui débute façon petite fille sous influence de "Lemon Incest" pour finir à la manière d'une femme pas tout à fait libérée qui cherche notamment l'ombre de son père dans un cimetière ("Les Oxalis"), elle fait habilement cohabiter les ambiances romanesques et grandiloquentes avec les atmosphères chaotiques et angoissées.
L'actrice et chanteuse de 46 ans y murmure et prend pour la première fois la plume en français et anglais en évoquant les réminiscences de l'enfance, l'amour, la mort dans de petites symphoniques électroniques aussi cinématographiques que mélancoliques. Le deuil de sa demi-soeur photographe Kate Barry, fille de Jane Birkin et du compositeur John Barry, rôde ici non loin d'orchestrations luxuriantes où priment des cordes qui rappellent celles des bandes originales de Jean-Claude Vannier (signataire de "Melody Nelson") ou George Delerue que chérissait tant Serge Gainsbourg. La boucle est bouclée.
Olivier Horner
Festival Antigel, Genève et France voisine, du 26 janvier au 17 février.
Jane Birkin en concert, Victoria Hall, Genève, 9 février; Charlotte Gainsbourg en concert, Salle du Lignon, Vernier, 17 février.