Les bookmakers avaient raison: c'est bien Netta Barzilai qui a remporté l'Eurovision 2018 avec "Toy", chanson dans le sillage de #metoo, offrant ainsi à Israël sa quatrième victoire.
Jugé ringardissime au siècle dernier, ce radio-crochet géant est devenu, avec l'arrivée de plusieurs pays participants, le show musical le plus regardé dans le monde avec ses 200 millions de téléspectateurs. Il est aussi un miroir de l'état de l'Europe, avec ses affinités, ses querelles (on se souvient de l'Ukraine interdisant son territoire à la candidate russe en 2017) et ses migrations.
Selon certains observateurs, l'effet Brexit se serait même fait sentir lors de cette dernière édition: moins de pays chantant en anglais.
>>> A écouter, l'émission Forum sur la dimension politique de l'Eurovision:
Le Concours est aussi une vitrine en faveur des libertés individuelles et du droit à la différence. La cause LGBT, par exemple, trouve chaque année ses porte-voix. En 1998, Dana internationale (Israël), transsexuelle, électrisait les foules tandis qu'en 2014, Conchita Wurst (Autriche) s'érigeait en icône de la tolérance. Pour Jean-Marc Richard, spécialiste de ce concours, "ces plébiscites témoignent de l'avance des peuples sur leurs dirigeants, les téléspectateurs russes, par exemple, ayant voté en masse pour Conchita Wurst.
S'engager en divertissant
Vêtue d'un kimono rose et rouge, dans un environnement pop avec sa kyrielle de maneki-neko, ces chats japonais porte-bonheur, Netta Barzilai, 25 ans, a offert un spectacle lisible par l'ensemble de la planète, avec un message féministe dans le sillage de #metoo. Le refrain de sa chanson?
Je ne suis pas ton jouet, abruti de garçon
Féministe, la musicienne l'est aussi dans sa manière de s'assumer comme elle est. Entre le burlesque glamour de Beth Dito et l'étrangeté exubérante de Björk, deux figures du pouvoir féminin, Netta Barzilai n'a rien du gabarit ordinaire. Sa voix est puissante, modulée par un looper qui permet de la transformer au gré de ses improvisations. Et sa chorégraphie, dite de la poule, fait déjà des émules.
Sa victoire, elle la doit avant tout au vote du public qui a pu l'apprécier dans son clip officiel, vu par 23 millions de personnes avant même la finale de samedi soir.
Des réseaux sociaux à la liesse de la rue, la "Nettamania" a déferlé sur Israël après la victoire de leur représentante. Même Benjamin Netanyahu a mimé le battement d'ailes de la poule pour honorer la prestation de la chanteuse qui, après avoir salué cette victoire "des différences" et rappelé qu'elle aimait son pays, a annoncé "L'an prochain à Jérusalem".
Tel Aviv ou Jérusalem
Mais cette quatrième victoire d'Israël, après 1978, 1979 et 1998, soulève déjà une polémique alors que les Etats-Unis inauguraient lundi leur nouvelle ambassade à Jérusalem, selon la promesse électorale de Donald Trump, et dans la désapprobation de la communauté internationale.
Respect du shabbat
Selon la tradition, le pays vainqueur devient le pays organisateur l'année suivante. Le choix de Jérusalem, plutôt que Tel-Aviv, prend ainsi une couleur très politique. Pourtant, deux Concours de l'Eurovision avaient déjà été organisés à Jérusalem, en 1978 et 1999, l'édition de 1980 ayant été prise en charge par les Pays-Bas.
Sauf que l'organisation, dans un contexte aussi sensible, a de quoi déchaîner les tenants du boycott d'Israël mais aussi les juifs ultra-orthodoxes qui refusent qu'un spectacle aussi superficiel se déroule le jour du shabbat.
Ce lundi, le ministre de la Santé, le très religieux Yaakov Litzman, adressait d'ailleurs une lettre au ministre de la culture et du sport Miri Regev, le priant de respecter le shabbat lors des préparatifs pour l’Eurovision 2019.
Marie-Claude Martin