Modifié

Un nouveau prologue à "Didon et Enée", le chef d'oeuvre de Purcell

La soprano Kelebogile Pearl Besong interprète Didon dans l'opéra de Purcell. [AFP - BERTRAND LANGLOIS]
Séquence 2 / Anticyclone / 12 min. / le 16 juillet 2018
Le Festival d’art lyrique d'Aix-en-Provence a confié à Maylis de Kerangal, auteure de "Réparer les vivants", l’écriture d’un nouveau prologue de "Didon et Enée", qui est interprété par la chanteuse malienne Rokia Traoré.

Opéra baroque en trois actes écrit par le compositeur anglais Henry Purcell, sur un livret du poète irlandais Nahum Tate, "Didon et Enée" a été donné pour la première fois dans un pensionnat de jeunes filles, à Londres, en 1689. Purcell jouait lui-même du clavecin.

Ce chef-d’œuvre de la musique baroque, inspiré d'un épisode de "L'Enéide" de Virgile, raconte les amours malheureuses de Didon, fondatrice de Carthage, et d'Enée, prince de Troie.

Oeuvre courte et condensée

Premier opéra en langue anglaise, "Didon et Enée" se distingue, notamment, par un lamento final parmi les plus sublimes jamais écrits. Et par sa durée: à peine une heure. De quoi oser les prolongations, par exemple en ajoutant un prologue.

Au Festival d’art lyrique d'Aix-en-Provence, le metteur en scène Vincent Huguet a donc mandaté l'écrivaine française Maylis de Kérangal, auteure de "Réparer les vivants", pour imaginer une entame qui change radicalement notre vision de l'oeuvre.

>>> A écouter l'interview du metteur en scène Vincent Huguet qui raconte sa nouvelle version de "Didon et Enée":

Première audace, Maylis de Kérangal offre un passé à Didon, et un passé très chargé: mariée de force à son oncle, lequel sera tué par le frère de Didon qui décide de faire de sa soeur sa maîtresse. Prise au piège, la princesse phénicienne s'enfuit, décide de fonder sa propre ville et embarque avec elle des captives qui serviront à peupler cette Carthage dont elle rêve.

La chaîne des violences

La violence dont elle a été victime, elle la reproduit à son tour avec ses esclaves qui, elles aussi, réclameront vengeance.

Le corps des femmes en guise d'alliance politique est un principe immémorial

Maylis de Kérangal

Quelle modalité pour mettre un terme à toute cette souffrance? C'est une des questions soulevées par l'écrivaine.

Ce passé dont elle dote Didon permet aussi de mieux comprendre sa réaction extrême, le suicide, face à l’abandon d’Enée. "C’est la trahison de trop, celle qui la précipite dans le désespoir.", explique l'auteure au micro de la RTS.

En écho avec l'actualité

L'autre point fort de ce prologue, c'est sa résonance à l'actualité contemporaine, à cette question migratoire lancinante, cette Méditerranée, théâtre de tous les espoirs et de toutes les tragédies.

Dans cette nouvelle version, Enée et Didon sont tous deux des exilés.

Enée est un réfugié de guerre, comme de nos jours les personnes qui fuient Alep. Et Didon, une réfugiée politique qui fuit une dictature, puisque son frère prend le pouvoir, fait tuer son mari.

Maylis de Kerangal, écrivaine
L'auteure-compositrice et interprète Rokia Traoré chante le prologue de "Didon et Enée" [AFP - BERTRAND LANGLOIS]
L'auteure-compositrice et interprète Rokia Traoré chante le prologue de "Didon et Enée" [AFP - BERTRAND LANGLOIS]

Sur scène, ce texte de Maylis de Kérangal est incarné par Rokia Traoré, chanteuse, compositrice et guitariste malienne. Elle prête sa voix chaude et sa silhouette altière non seulement à Didon mais à toutes ces femmes capturées et livrées aux hommes pour perpétuer Carthage.

Propos recueillis par Isabelle Carceles/mcm

"Didon et Enée", opéra d'Henry Purcell, mise en scène de Vincent Huguet, Théâtre de l'Archevêché, Festival d’Aix-en-Provence, jusqu’au 23 juillet

Publié Modifié