Angela Gheorghiu: "Je ne suis pas devenue chanteuse, je l'ai toujours été"

Elle rit souvent, beaucoup, et son rire est déjà un chant.

Elle adore dire "J'adore" avec cet accent qui roule les "r" et donne à chacune de ses phrases une gaîté communicative.

Angela Gheorghiu, soprano, artiste lyrique et musicienne, n'a pas la langue dans sa poche et ose dire, sans vanité, qu'elle a du talent, qu'elle en a toujours eu et que les autres aussi le savaient. Elle n'est pas devenue chanteuse, elle est née chanteuse, le 7 septembre 1965.

Une voix hors normes

Petite fille, elle vit à Adjud, un village de la Moldavie roumaine. Elle chante tout le temps, en particulier dans les arbres, "mon studio préféré", et les voisins l'applaudissent. Avec son inséparable soeur cadette, Elena - comme elle cantatrice et morte dans un accident en 1996 -, elle va de portes en portes, et les deux gamines gagnent leur premier argent.

Les parents n'ont pas le choix. Ils emmènent Angela à Bucarest pour qu'elle étudie le chant. A 13 ans, elle est trop jeune pour entrer au Conservatoire mais sa prof de chant, Mia Barbu s'engage à la former pour qu'elle puisse y entrer. Sur 90 candidats, seuls cinq seront pris. Angela obtient la première place.

Mia a été mon seul professeur de chant. Je n'en ai jamais pris d'autre, pas plus que de pianiste accompagnateur ou de coach.

La Roumanie de l'époque est au pire du communisme. Angela étudie les grands de l'art lyrique mais elle est aussi obligée de chanter des musiques patriotiques, dont certaines composées rien que pour elle. Elle déteste le faire mais "si je ne le faisais pas, j'étais exclue du Conservatoire". Car entre 14 et 18 ans, tout en poursuivant ses études, elle est déjà un peu connue, notamment par la télévision où elle a déjà chanté en live "Music for a While" de Purcell.

France Musique - Simon Fowler/Warner Classics

Dans la maison familiale, hormis une émission TV dominicale consacrée à la musique classique, il n'y avait pas de disques. Sa première grande émotion musicale, elle la connaît à Bucarest en découvrant sur CD une autre Roumaine, Virginia Zeani dans la "Traviata".

Elle était encore plus talentueuse et plus belle que la Callas ou la Tebaldi. Pourquoi n'a-t-elle pas fait la même carrière? Il faut avoir le courage de dire que l'argent fait beaucoup dans une carrière, les bons mariages et bons amants aussi

>>> A écouter Virginia Zeani dans la Traviata:

La chute de Ceaușescu en 1989, "que j'aurais préféré voir jugé qu'assassiné", coïncide avec son début de carrière internationale, d'abord en Hollande puis au Royal Opera House, à Londres, dans le rôle de Zerlina dans "Don Giovanni". Deux ans plus tard, sous la direction de sir Georg Solti qui n'a cessé de l'encourager, elle offre une "Traviata" qui la place illico dans la cour des plus grandes. On lui reconnaît une voix exceptionnelle mais aussi une photogénie, un glamour et un talent d'interprète rares.

Depuis ses débuts en 1990, elle a chanté tous les rôles importants pour soprano, sur disque ou sur scène.

En couple avec Roberto Alegna

Généreuse, ambitieuse, volcanique, Angela Gheorghiu a longtemps fait la Une des magazines people. Sa relation tumultueuse avec le ténor franco-italien Roberto Alagna qu'elle épouse en 1996 passionne au-delà du monde lyrique.

Pendant plus de dix ans, le couple enregistre et joue ensemble, même au cinéma où Benoît Jacquot fera une très belle adaptation de "Tosca", en 2000. Une expérience qu'elle a adorée, elle, folle de cinéma.

Dans le film de Benoît Jacquot, notre harmonique des voix, la mienne et celle de Roberto, est unique

Après l'enregistrement de l'opéra de Puccini, puis le film, il y a eu la scène à Londres. "J'ai choisi le bon moment pour "Tosca". J'ai cette chance d'avoir toujours rencontré la personne juste, au moment juste".

>>> A voir un extrait du film de Benôt Jacquot:

Roberto et Angela divorcent en 2009. Angela Gheorghiu dit vivre désormais avec un stomatologue roumain, "heureux de mes succès".

Dire non!

Le secret de sa carrière? "De la chance et de la volonté", dit-elle. Mais aussi un sens aiguisé de ce qui est bon pour elle. Ne jamais forcer sa voix, dire non aux propositions les plus alléchantes quand on ne se sent pas prêt, différencier la carrière discographique de la carrière scénique. Parfois cela coïncide, parfois pas.

Pour "Madame Butterfly", Angela Gheorghiu a enregistré le disque mais ne l'a jamais joué sur scène. Si l'enregistrement permet de faire des pauses, la scène l'interdit. Elle dit que l'émotion l'en aurait empêchée.

Je suis la plus émotive artiste du monde

Propos recueillis par Stéphane Grant pour France Musique

Réalisation web: Marie-Claude Martin