Une fin de soirée sauvage. Quand les Anglais de Idles investissent le Club Tent mercredi à 1h15 du matin, c'est l'esprit punk qui rejaillit à l'état brut, guitares braillantes et voix criante brisée. Précédé d'une réputation sulfureuse, le quintet de Bristol qui avait déjà fait sensation au festival genevois Antigel cet hiver et collectionne les Unes des magazines spécialisés se passe de préliminaires pour réveiller les spectres furibards des Sex Pistols, réactualisant les années No Future dans leurs manifestes sonores agressifs où s'invitent aussi des lignes blues à la manière poisseuse de Dr. Feelgood. Des connotations politiques qui reflètent les titres de "Brutalism", premier album paru l'an dernier évoquant autant chômage et paupérisation, délitement du service public que violences conjugales.
Arborant un T-shirt Muddy Waters, le chanteur Joe Talbot arpente la scène tel une bête en cage prête à se ruer sur sa proie. L'un des deux guitaristes finit rapidement à l'horizontale porté par les bras d'un public clairsemé à cette heure tardive mais aussi électrisé qu'Idles. En une heure tapante et tapageuse, le groupe aux airs naturellement je-m'en-foutiste métamorphose sans temps mort le Club Tent en un grand foutoir punk-rock. Même si la fraîcheur débridée de leur répertoire prend parfois des allures de chansons à boire pour fin de nuit au coeur d'un pub crasseux.
Jeunes Français en short et quadragénaires américains en blousons noirs
Plus tôt dans la soirée, à mille lieues de l'ère morose de la dame de fer Thatcher que rappelle Idles, d'autres formations se sont lancées avec force saturations dans une réinterprétation des fondamentaux rock. Les jeunes Français d'une vingtaine d'années en short de Lysistrata et des Américains Black Rebel Motorcycle Club (BRMC), quadragénaires roublards en blousons noirs. Respectivement sur la scène du Détour et des Arches, ces deux trios guitare-basse-batterie sans concessions affichent une volonté de fidélité aux préceptes historiques de cette "musique du diable" que rien n'arrête depuis près de septante ans.
Muni de répertoires aux tensions plus sourdes ou aux explosions plus fulgurantes, Lysistrata et BRMC maîtrisent les codes du genre avec une décontraction et aisance tout aussi stupéfiante qu'Idles. Tandis que les Français, se présentant en formation resserrées autour de leur batteur-chanteur, s'élancent dans de longs morceaux post-rock en forme de montagnes russes ou concentrent leur furie dans un rock aussi dense que rageur et épileptique, les Californiens préfèrent les combustions lentes, les inflexions psychédéliques, les climats hypnotiques. Mais que ce soit dans un registre plus bruyant et hardcore pour le premier et plus sombre et atmosphérique pour le second, l'essence du rock coule dans leur sang avec la même intensité que chez Idles.
A Paléo hier comme ailleurs, ce triplé gagnant transgénérationnel a au moins démontré que le rock'n'roll est toujours aussi vivant.
Olivier Horner
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