Que serait "Le Troisième homme" de Carol Reed sans la cithare autrichienne d'Anton Karas? La série des "Panthère rose" sans le thème d'Henry Mancini? "Il était une fois dans l'Ouest" sans l'ingénieuse partition d'Ennio Morricone?
La musique peut sublimer un film, le rendre inoubliable, l'immortaliser en quelques notes. Vladimir Cosma a fait de certaines comédies d'Yves Robert, de Gérard Oury ou de Claude Zidi, des films cultes qu'on regarde en sifflotant. Et pourtant le musicien ne connaissait rien, ou pas grand chose au septième art.
En Roumanie, on voyait peu de films, ou alors des films de propagande. Quand je suis arrivé à Paris en 1963, je suis beaucoup allé au cinéma pour combler mon inculture.
Né le 13 avril 1940 dans une famille de musiciens, Vladimir Cosma étudie le violon au Conservatoire National de Bucarest. Il fait ses premiers concerts à 8 ans et ses premiers arrangements à 12. Il admire son père, pianiste et chef d'orchestre, mais aussi fan de jazz et amoureux de la France, où il a vécu dans les années 30.
Le petit Vladimir n'est pas malheureux dans la Roumanie d'après-guerre: "Les Russes nous avaient libéré du nazisme et de la corruption". Cela ne l'empêchera pas de quitter en toute légalité Bucarest pour Paris en 1963, avec sa famille. Pendant cinquante ans, durant la période Ceaușescu, il ne remettra plus les pieds en Roumanie.
Rencontre avec Michel Legrand
En France, dont il parle la langue, le succès vient rapidement. Dès 1964, Vladimir fait des tournées à travers le monde comme violoniste concertiste, tout en composant sa musique. Il lui arrive même de faire du dodécaphonisme, ce qui énerve Nadia Boulanger, grande figure musicale française qui l'a pris sous son aile.
Ne cédez pas à la mode. Faites la musique que vous aimez!
Sa rencontre en 1966 avec Michel Legrand est déterminante. "Yves Robert lui avait demandé de faire la musique d'"Alexandre le Bienheureux". Mais comme Michel Legrand partait s'installer aux Etats-Unis - et moi avec lui - il a décliné l'offre. Je lui ai demandé si je pouvais le remplacer, et rester en France". C'est le début d'une longue collaboration avec le cinéaste qui est aussi mélomane.
C'est surtout la naissance d'un thème musicale qui le rendra célèbre, celui du "Grand Blond avec une chaussure noire", joué à la flûte de pan par Gheorghe Zamfir. "L'humour n'est pas facile en musique. Je ne voulais ni d'un pastiche ni d'une moquerie musicale mais d'une musique surprenante. Francis Veber, scénariste du film, a détesté. Il trouvait que la musique rendait inaudible les dialogues et coupait tout effet comique. Mais Yves Robert m'a donné son feu vert."
Par la suite, il fera également la musique de "La Boum", avec plus de 27 millions du fameux slow vendus, et celle de "Diva" (1982) qui lui vaudra son premier César, le second pour "Le Bal" (1984) de Scola.
Un autre homme n'a pas aimé la musique du "Grand Blond", Gérard Oury. Il n'est donc pas très chaud pour confier à Vladimir Cosma la BO de "Rabbi Jacob" mais se laisse influencer par son ami, le cinéaste François Reichenbach, qui voit en Cosma un compositeur traversés par plusieurs influences, du folklore au jazz, en passant par la musique symphonique.
Louis de Funès viendra répéter sa chorégraphie pendant un mois chez Cosma qui l'accompagne au piano.
Il n'était pas drôle du tout, très appliqué sur la technique. J'ai découvert son fabuleux travail sur le tournage. Oury a fait cinq prises de la danse de Rabbi Jacob. De Funès était excellent à chaque fois, et toujours différent.
A raison de douze musiques de films par an, Vladimir Cosma devient le compositeur du cinéma français. "Je ne suis pas un fabricant de musique, j'ai essayé de me renouveler à chaque fois, notamment dans les solos d'instruments."
De la Fontaine à Chet Baker
C'est ainsi qu'il demande à Chet Baker d'être la trompette du film "Le Jumeau" et qu'ils feront ensemble l'album "Sentimental Walk in Paris". Ainsi qu'il composera l'opéra en deux actes "Marius et Fanny", inspiré de la trilogie marseillaise de Pagnol qu'il connaissait bien. Ainsi qu'il écrira pour Stéphane Grappelli, Jean-Luc Ponty ou Diane Dufresne. A Genève, en 2006, il crée au Victoria Hall, "Eh bien! Dansez maintenant", un divertissement pour narrateur et orchestre symphonique d'après les fables de la Fontaine.
Sa carrière couronnée de succès populaires l'a-t-il frustré d'une ambition plus personnelle, plus symphonique? "Non, je suis au service des autres mais ce qui peut me frustrer, c'est le temps qui reste".
Sujet proposé en collaboration avec France Musique/Réalisation web: Marie-Claude Martin
Les Grands entretiens, une série proposée par France Musique, à découvrir sur Espace 2.