Charles Aznavour, l'enfant de la balle qui s'voyait déjà en haut de l'affiche

Grand Format

AFP - Guillaume Souvant

Introduction

Charles Aznavour s'est éteint à l'âge de 94 ans. Il avait commencé à chanter à l'âge de 10 ans. Retour sur ses débuts, sa carrière, ses succès.

Rétrospective 1
L'enfance

Un enfant de la balle. A l'image de sa bienveillante protectrice Edith Piaf. Charles Aznavour dit pratiquer le métier de la scène depuis 1933. Soit depuis l'âge de 10 ans. Mais "je n'ai finalement jamais choisi de l'exercer: il s'est introduit en moi d'un seul coup, sans que je m'y attende", précise-t-il dans les réflexions autobiographiques consignées dans A voix basse. A l'âge où l'on court les récréations, Charles Aznavourian de son vrai nom court déjà les auditions.

Au coeur de Paris, son père a pris la gérance d'un petit café, rue Cardinal-Lemoine. Juste en face se trouvait ce qu'on nommait alors une école du spectacle. Avec sa soeur Aïda, Aznavour y suit des cours de théâtre. Les metteurs en scène y recrutent les enfants pour des rôles dans des pièces ou des films. Son premier rôle sera celui d'un petit Africain dans la pièce allemande Emile et les détectives.

Charles Aznavour enfant (à gauche), lors d'une représentation de "Margot" d'Edouard Bourdet. Paris, théâtre Marigny, novembre 1935. [AFP - Lipnitzki / Roger-Viollet]
Charles Aznavour enfant (à gauche), lors d'une représentation de "Margot" d'Edouard Bourdet. Paris, théâtre Marigny, novembre 1935. [AFP - Lipnitzki / Roger-Viollet]

Les dés sont jetés pour ce fils d'émigrants arméniens arrivés en France en 1923. Et quand son père Mischa s'engage en 1940 et part au front pour son pays d'adoption - bien qu'apatride pour l'état civil -, l'enfance s'arrête d'un coup sec pour l'adolescent Aznavour.

"La guerre avait détruit le peu d'insouciance qui nous restait". S'il arrondissait déjà les fins de mois de la famille avec ses figurations et petits rôles depuis quelques années, il va dès lors encore trouver mille petits métiers et combines pour subvenir aux besoins de la famille restante dans un Paris occupé.

Son père, ancien baryton, a chanté pour les exilés d'Europe centrale dans le restaurant arménien qu'il avait d'abord ouvert à son arrivée à Paris. Knar, sa mère, jouait du piano entre ses différents travaux de couture. Si l'enfance conserve un parfum agréable et joyeux pour Aznavour, élevé ainsi dans l'amour des arts de ses parents entre disques à la mode, musique classique, chants traditionnels et piano, elle aura toutefois été de bien courte durée. Il confesse d'ailleurs n'y avoir "jamais vraiment eu droit à l'enfance". Et de conclure: "on a la jeunesse que l'on peut2.

Rétrospective 2
Les débuts

"En devenant chanteur, j’ai en quelque sorte abandonné mon premier amour". Quand Aznavour délaisse la comédie pour donner de la voix sur des mélodies, il ne sait pas encore que l’ascension sera si rude et longue. Dans un Paris qui survit sous l’occupation allemande, Aznavour rencontre fortuitement Pierre Roche, pianiste et compositeur accessoirement président d’honneur du Club de la Chanson. C’est par le biais de ce cabaret mué en école de spectacles pour talents et organisateur de galas sur d’autres scènes que le duo va se former et faire ses premières gammes.

Dès sa rencontre et formation en1941, le tandem écume rapidement les cabarets, bals populaires, restaurants, boîtes de nuit et théâtres parsemant une zone occupées avides de divertissements. Si les cachets restent misérables, ils permettent tout de même à Roche et Aznavour de vivre de leur art tout en construisant un répertoire original. Et à Aznavour de faire encore et encore ses classes sur les planches, le jardin de son existence bohême.

Charles Aznavour derrière le micro lors de l'enregistrement d'un numéro de "Palmarès des chansons". [AFP - Bernard Pascucci / Ina]
Charles Aznavour derrière le micro lors de l'enregistrement d'un numéro de "Palmarès des chansons". [AFP - Bernard Pascucci / Ina]

Dans la veine du fameux et admiré duo Charles (Trenet) et Johnny (Hess) des années 30, Roche et Aznavour marient swing et fantaisie avec légèreté et énergie irrésistibles. Un numéro qu’ils peaufineront jusqu’à la Libération avant de pouvoir le présenter enfin sous d’autres cieux. En Amérique du nord et au Québec notamment, où d’ailleurs s’arrêtera net leur association de bienfaiteurs en 1950: Pierre Roche y a croisé le grand amour et Aznavour s’est vu sommer par son ange gardien Edith Piaf de poursuivre seul sa carrière. Une Piaf à qui les deux hommes avaient offert peu avant la chanson C’est un gars.

Après une carrière discographique éclair de Roche et Aznavour dès 1945 et la proposition d’un premier enregistrement par Jacques Canetti, le futur "grand découvreur de talents", Aznavour concrétise en 1952 le conseil de Piaf par un premier 78 tours qui connaîtra un fiasco commercial. Un faux départ sans conséquences puisqu’il écrira bientôt avec succès pour d’autres interprètes avant de connaître la gloire en solitaire.

Rétrospective 3
Le succès

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Si le succès est lent à se dessiner pour le chanteur "mal-aimé" à ses débuts par la critique pour sa voix "laryngitée" et son physique "ingrat", il ne quittera ensuite jamais plus Aznavour. Si le répertoire qu’il bâtit peu à peu parle plus franchement et naturellement d’amour et de vie de tous les jours, sous forme de situations théâtrales souvent, la manière Aznavour séduit hélas davantage ses pairs que la presse ou la radio.

J'étais un personnage de seconde zone, qualifié partout de chanteur à bides, se produisant dans des cabarets tendance boîte de nuit russe ou Crazy Horse où les effeuilleuses suscitent bien plus d’intérêt chez le spectateur que l’artiste.

Charles Aznavour, évoquant ses débuts

Bien qu'Edith Piaf, Jacqueline François, Patachou ou Marcel Amont interprètent ses chansons, l’Aznavour en solo reste dans l’ombre. "Un personnage de seconde zone, qualifié partout de chanteur à bides, se produisant dans des cabarets tendance boîte de nuit russe ou Crazy Horse où les effeuilleuses suscitent bien plus d’intérêt chez le spectateur que l’artiste", se plaît à relever le chanteur à la future carrière internationale.

Après avoir écrit notamment les premiers succès d’Eddy Constantine (Je t’aime comme ça et Bâiller et dormir), essuyé quantité de revers scéniques et critiques, vogué "de galas en galères", Aznavour finit par s’imposer. A force d’opiniâtreté et grâce sans doute à un air du temps soudain plus favorable et des mœurs plus enclines à entendre parler d’amour plus crûment.

Dès 1954 et Viens pleurer au creux de mon épaule, ses enregistrements se diffusent plus largement jusqu’à lui constituer une solide popularité que ses tours de chant aux mises en scène théâtrales renforcent encore. Au point qu’en 1957, presque toutes les chansons d’Aznavour seront célèbres. Selon Charles Aznavour ou le destin apprivoisé, la biographie de Daniel Pantchenko, Aznavour aurait ainsi totalisé cette année-là quelque 60 millions d’anciens francs français de droits d’auteur. Ce qui lui conférait le statut de poids lourd de la chanson française.

La consécration "ultime" de cette lente ascension vers l’apogée définitive viendra de la scène en décembre 1960. En créant à l'Alhambra parisien Je m'voyais déjà, chanson sur le métier que tout le monde lui a déconseillé de chanter et que certains ont refusé d'interpréter, Aznavour tient enfin son tube serti d’or. D’autant que l’acteur-chanteur a imaginé une chute novatrice en quittant la scène en dansant, dos au public mais face aux projecteurs, avant que le rideau ne tombe. L’ombre Aznavour enfin en pleine lumière.

Rétrospective 4
L'Amérique

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1963, année de grands défis pour Charles Aznavour. Puisque sa voix embrumée fait désormais recette en francophonie, que Je m’voyais déjà et Les comédiens l’ont propulsé au rang de star du music-hall, qu’il se produit enfin en vedette à l’Olympia de Paris durant un mois et demi début 1963 et qu’il a gravé des versions de ses chansons en langues étrangères, l’acteur-chanteur décide d’élargir encore son horizon artistique.

Son nouvel objectif est la préparation d’une tournée mondiale qui devra passer par l’Amérique, patrie de ce Sinatra avec qui l’on aime tant le comparer. New York et son prestigieux Carnegie Hall plutôt dévolu aux superstars sont agendés pour le 30 mars. Un rêve américain qualifié d’insensé par l’entourage d’un Aznavour dont la détermination triomphera encore. La salle est pleine et plus de 2000 personnes acclament un récital déroulant titres en français et deux chansons en anglais. La presse s’enflamme également.

Nouveau pari réussi en tous les cas, aidé sans doute par le succès aux Etats-Unis du film Tirez sur le pianiste de François Truffaut, puis sans cesse affermi par la suite lors de ses incessantes tournées mondiales (Turquie, Liban, Grèce, pays de l’Est, Afrique noire, ex-URSS, Chine, Japon, etc). Au point de conférer à Aznavour ce statut envié mais officieux d’ambassadeur de la chanson française et de chanteur français en activité le plus célèbre au monde. Il fallait conquérir l’Amérique pour espérer vivre pareille heure de gloire.