Le rappeur franco-algérien Médine se produira bien aux Docks de Lausanne samedi. Se disant attachée à la liberté d'expression, la Municipalité a décidé jeudi de ne pas donner suite à la requête de deux organisations qui souhaitaient l'interdiction du concert.
L'Association suisse vigilance islam (ASVI) et Alternative Populaire Suisse estiment que certaines chansons du répertoire de l'artiste, perçu comme "proche des milieux fondamentalistes musulmans", expriment "une terrible haine des Blancs et de la laïcité".
Mais la Ville de Lausanne dit avoir obtenu l’assurance que les propos de Médine "ne seront pas de nature à violer les règles relatives à l’interdiction de (...) l’incitation à la haine raciale, ne porteront pas atteinte (...) à la dignité de quiconque et ne seront pas contraires à toute autre disposition de l’ordre juridique suisse".
Concerts déprogrammés au Bataclan
A 35 ans, le rappeur indépendant originaire du Havre (nord-ouest de la France) est coutumier de ce genre de polémique mais n'a jamais été condamné par la justice. En France, il est régulièrement accusé de promouvoir dans ses chansons le terrorisme islamiste, notamment par les milieux de droite et identitaires.
Fin septembre, Médine s'est résolu à annuler deux concerts prévus mi-octobre au Bataclan à Paris, qui affichaient complet. L'annonce, en juin, de sa programmation dans la salle où se sont produits les attentats du 13 novembre 2015 avait mis le feu aux poudres.
Plusieurs élus de droite et d'extrême droite, mais aussi des proches de victimes, s'étaient dit scandalisés de sa venue et avaient réclamé son annulation. Un avocat de familles de victimes des attentats de Paris avait annoncé saisir la justice pour incitation à la haine, estimant que les propos du chanteur étaient "un préjudice à la mémoire des victimes".
>> Lire : La venue d'un rappeur controversé au Bataclan irrite la droite française
Il y a encore trois semaines, des militants identitaires ont déployé sur le toit d'une salle de concert lilloise (nord de la France) où se produisait le rappeur une banderole clamant "Pas de rappeur islamiste à Lille!".
Des textes qui choquent
Médine a débuté sa carrière en 2004 et compte six albums à son actif. Dans ce répertoire dense, certains titres comportent des propos provocateurs voire intolérables pour certains.
Sortie début janvier 2015, quelques jours avant l'attentat contre l'hebdomadaire satirique Charlie Hebdo, la chanson "Don'Laïk" dans laquelle le rappeur s'attaque à la laïcité a particulièrement choqué.
Médine y proclame, entre autres, "Crucifions les laïcards comme à Golgotha", "Si j'te flingue dans mes rêves j'te demande pardon en me réveillant" ou encore "On ira tous au paradis, enfin seulement ceux qui y croient".
Autre sujet de crispation, le titre d'un de ses tout premiers albums, "Jihad" (2005). En juin dernier Gérard Collomb, alors ministre de l'Intérieur, s'était d'ailleurs ému du visuel de l'opus, où le rappeur "pose avec un t-shirt portant la mention 'djihad'" assortie d'un sabre.
"Pur esprit Charlie"
Le chanteur a pourtant répondu à chaque polémique en condamnant la violence et l'apologie du terrorisme. En 2015, dans la foulée du tollé lié à "Don'Laïk", il condamne les attentats et affirme que sa chanson est "du pur esprit Charlie".
Dans un portrait que lui consacre Libération, il se définit comme un "musulman laïc", partisan d’une "laïcité originelle (...) qui garantit l’acceptation des religions tout en gardant neutres les institutions". Le rappeur boxeur dénonce une "interprétation biaisée de sa chanson (...) symptomatique d’une liberté d’expression à géométrie variable".
Et en juin dernier, alors qu'enfle la polémique sur sa venue au Bataclan, il réaffirme "combattre" depuis "15 ans (...) toutes formes de radicalisme dans (ses) albums", et appelle à ne pas laisser l'extrême droite "limiter notre liberté d'expression".
Menacé par Daech
Les textes de Médine n'ont en outre pas tous le même potentiel sulfureux. Dépeint comme un rappeur engagé, il écrit aussi pour dénoncer la guerre et prôner le vivre-ensemble, ponctuant souvent ses chansons de références littéraires, historiques et religieuses.
Dans "Jihad", par exemple, il dénonce "ceux qui choisissent la solution militaire" et affirme qu'"étudier reste la seule solution pour les blancs, les noirs, les gens issus de l'immigration". Le djihad y est décrit comme "mon combat éternel, celui de l'intérieur contre mon mauvais moi-même".
Dans une autre chanson, "Faigafatwa", il s'en prend aux fanatiques religieux, y compris aux islamistes: "Heureusement qu'j'ai connu la foi avant d'connaître les pratiquants, (...) qu'j'ai connu l'Islam avant d'connaître les musulmans, (...) qu'on a lu l'Coran avant d'connaître ces charlatans".
L'homme n'étant pas à un paradoxe près, il a été la cible de menaces émanant tant de l'extrême droite que du groupe Etat islamique, rappelle un article du Huffington Post. Et il s'en félicite: "Être menacé de tous les côtés, c'est un bon indicateur."
Après Lausanne, le rappeur a agendé une autre date suisse: il doit se produire le 30 novembre prochain à la Case à Chocs de Neuchâtel. Là encore, une pétition circule pour l'interdire.
Pauline Turuban
la capitale vaudoise a dû se prononcer à plusieurs reprises ces dernières semaines sur l'interdiction de rendez-vous culturels (corps plastinés, Bertrand Cantat, Dieudonné?