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Kirill Serebrennikov signe la mise en scène du "Così fan tutte" joué à Zurich

La première de "Così fan tutte" a eu lieu le 4 novembre à Zurich, malgré les obstacles dressés par la justice russe. [Opéra de Zurich - Monika Rittershaus]
La première de "Così fan tutte" a eu lieu le 4 novembre à Zurich, malgré les obstacles dressés par la justice russe. - [Opéra de Zurich - Monika Rittershaus]
Alors que débute à Moscou le procès du dramaturge Kirill Serebrennikov pour détournement de fonds, l'opéra de Zurich présente un "Così fan tutte", dont la mise en scène est signée du Russe.

Lors des dernières répétitions de "Così fan tutte" de Mozart, tous les membres de la production de l'opéra de Zurich, les chanteuses, les acteurs, la dramaturge, les assistants sont assis en demi-cercle, le regard rivé sur l’écran d’un petit ordinateur portable.

Ils attendent leur metteur en scène, Kirill Serebrennikov, qui n'est pas à Zurich puisqu'assigné à résidence dans son petit appartement de Moscou. Une assignation prolongée jusqu’en avril 2019.

>> A écouter: Le metteur en scène Kirill Serebrennikov a été contraint de travailler à distance sur "Così fan tutte" :

Le réalisateur lors d'une audiance le 17 octobre 2018 à Moscou. [EPA/Keystone - Sergei Ilnitsky]EPA/Keystone - Sergei Ilnitsky
Extra Sequence 1 / La Matinale / 1 min. / le 18 octobre 2018

Une mise en scène par vidéoconférence

"Hi everybody. Aujourd’hui, nous allons jouer les scènes du lit. Des scènes qui portent au paroxysme l’érotisme présent dans toute l’œuvre. Je propose de jouer avec un maximum de discrétion", annonce Kirill Serebrennikov.

Ces messages vidéo sont d’une grande importance pour tout le monde, explique la chanteuse Anna Goryachova. "Le soutien que nous apporte Kirill, l’énergie dont il fait preuve, la façon dont il réagit et nous décrit tout ce qu’il voit nous aide énormément à mettre en scène la pièce."

On accuse Kirill Serebrennikov d’avoir détourné des subventions publiques. Cela fait plus d'un an qu’il est assigné à résidence et ne peut quitter les 30m2 de son appartement de Moscou que pour deux heures par jour – et sous surveillance, bien sûr. Toute communication est contrôlée et restreinte au maximum. Elle n’est faite qu’à travers son avocat.

Une urgence palpable

Anna Goryachova (à droite) et Ruzan Mantashyan dans "Così fan tutte". [Opéra de Zurich - Monika Rittershaus]
Anna Goryachova (à droite) et Ruzan Mantashyan dans "Così fan tutte". [Opéra de Zurich - Monika Rittershaus]

Difficile d’imaginer que l’on puisse mettre en scène un opéra dans ces conditions. En même temps, c’est une question de survie. "C’est dur, presque insupportable, mais le travail est la seule chose qui puisse te sauver", déclare Evgeny Kulagin. L’assistant de Kirill Serebrennikov dirige les répétitions et applique à la lettre toutes les instructions de son metteur en scène qui a noté tous les détails dans les partitions.

La première de l'opéra de Mozart  - qui a eu lieu le 4 novembre -  est l’œuvre du cercle étendu des proches de Kirill Serebrennikov, qui connaissent bien son travail et sa fantaisie.

Le chef d’orchestre Cornelius Meister, qui dirige ce "Così fan tutte", est admiratif devant tant d'organisation espiègle. La situation de Kirill Serebrennikov se reflète-t-elle dans la mise en scène? Au début, Cornelius Meister ne le pensait pas. Avec le temps, il reconnaît que la troupe a adopté une attitude inflexible, et que cette fierté, cette urgence aussi, se ressentent à chaque seconde de la mise en scène.

Un message pour la Russie

L’opéra de Zurich considère, lui aussi, cette représentation comme un signe adressé à la Russie. Si l’espoir qu'il soit entendu reste maigre, le message de solidarité avec Kirill Serebrennikov est d’autant plus fort.

"On veut lui dire qu’on ne l’a pas laissé tomber, qu’on croit en son innocence - tant que le contraire ne sera pas prouvé", déclare la dramaturge Beate Breidenbach.

Le procès a débuté, à Moscou, mercredi 7 novembre, trois jours après la Première à Zurich. Il sera long, selon les observateurs, et pourrait se conclure sur une condamnation.

Le réalisateur et metteur en scène Kirill Serebrennikov lors de l'ouverture de son procès à Moscou le 7 novembre 2018. [Keystone - Maxim Shipenkov]
Le réalisateur et metteur en scène Kirill Serebrennikov lors de l'ouverture de son procès à Moscou le 7 novembre 2018. [Keystone - Maxim Shipenkov]

"La scène, notre barricade"

Pourtant, les accusations sont absurdes. Ce réquisitoire cache d’autres choses, selon la célèbre critique dramatique russe Marina Davydova. Le cas Kirill Serebrennikov traduit parfaitement le conflit existant entre les forces modernes et les forces conservatrices qui s’opposent en Russie.

Ceux qui affirment ouvertement leur homosexualité, ceux qui critiquent la violence et le nationalisme au sein de la société russe se retrouvent dans la ligne de mire de la bureaucratie conservatrice.

Ce conflit qui s’éternise s'est à peine ressenti durant les répétitions sur la scène de l’opéra de Zurich. Evgeny Kulagin le résume ainsi: "Il ne faut pas avoir peur, car la peur ronge notre âme et nous rend misérables. Nous devons rester fidèles à notre propre vérité, la protéger à tout moment, quelle que soit la situation dans laquelle on peut se trouver."

Les acteurs et tout le théâtre, préservent cette vérité en montant chaque jour sur scène. "Nous poursuivons notre travail. Il est notre barricade et notre vérité."

Julia Bendlin (SRF Kultur)/aq

>> Cet article a été publié initalement sur SRF Kultur. A lire ici (en allemand)

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