Certains avaient mis leur réveil dimanche dans la nuit pour ne pas manquer l'épilogue tant attendu de la série américaine "Game of Thrones". Aussi, même si une certaine déception a entouré la dernière saison, on peut d'ores et déjà considérer "qu'elle fera date" estime Marc Atallah, directeur de la Maison d'Ailleurs à Yverdon-les-Bains au micro de la RTS. "Diffusée dans 186 pays, elle a été vue par des centaines de millions de spectateurs qui auront adoré, détesté, ou en tout cas vibré avec cette série. Elle a marqué tous les esprits, même de ceux qui ne l'ont pas vue."
Objet de tous les superlatifs, "Game of Thrones" ne laisse personne indifférent. Mais ce sont évidemment les fans qui ont réagi le plus fortement.
L'appropriation "fanique"
Parmi les plus fortes réactions qui entourent "Game of Thrones", cette pétition en ligne réclamant sa réécriture (plus d'1,3 million de signataires à ce jour). Selon Marc Atallah, cette initiative témoigne d'un phénomène assez classique, celui de "l'appropriation par des fans". Ceux-ci, "après avoir éprouvé des émotions particulières devant les premières saisons, se sont progressivement imaginé comment la série devrait se poursuivre.
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Or, entre ce qu'ils ont imaginé et ce que les scénaristes ont décidé de faire il y a un gap, un écart, et c'est là que se produit ce processus particulier.
On se trouve face à une appropriation très organique, très émotionnelle, très personnelle, très intime. Les fans, qui semblent supposer que les scénaristes devraient faire les choses selon leurs désirs, oublient que leur désir est individuel.
Vu le nombre de gens qui suivent la série, être à l'écoute des désirs de chacun rendrait toute fin impossible, puisque chacun donnerait une orientation différente au scénario.
La série offre un terrain favorable à ce comportement. "Lorsqu'on suit pendant des années une série, on est de plus en plus imprégné par l'intrigue, l'univers et les personnages, ce qui n'est pas le cas avec un film de long-métrage" explique Marc Atallah. "Chez certains fans cela aboutit à une appropriation qui dit en substance: 'C'est ma série, j'ai envie qu'elle se déroule comme je le veux, les scénaristes ont fait différemment, je suis déçu."'
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La négation du pacte fictionnel
Une attitude bien étrange, et d'autant plus surprenante dans la fiction. Car, Marc Atallah le rappelle "la fiction est par nature - qu'il s'agisse de roman, de cinéma, de bd, de jeux vidéos ou justement de série tv - une invention qui nous est proposée, et qui nous fait éprouver des émotions. Vouloir tout à coup en faire sa propre fiction, c'est opérer un glissement un peu étrange vers un désir de faire nôtre un récit, au lieu d'accepter les éléments qui nous sont proposés, pour pouvoir y réfléchir."
Le directeur de la Maison d'Ailleurs rappelle que l'épisode 8 de "Star Wars" avait déjà fait l'objet d'une pétition de même type, qui n'avait été suivie d'aucun effet. Il ne voit aucune raison à ce qu'un studio décide subitement de modifier la suite ou la fin d'une série pour faire plaisir aux fans.
"On serait là dans un phénomène de marketing pur et dur, qui casserait toute la superbe de la proposition. On aurait alors l'impression de scénaristes cherchant à plaire aux fans au lieu de proposer quelque chose d'original. Ce "quelque chose de plus et de surprenant" qui est le principe qui préside à la fiction.
Cette chose que l'on n'attend pas, que l'on ne désire pas, mais qui peut nous surprendre quitte à nous décevoir ou - comme dans le cas des pétitionnaires - de nous énerver.
Propos recueillis par Thibaut Schaller et Romain Bardet
Adaptation web: Manon Pulver