En psychanalyse, on parle de séance. Comme au cinéma. Les deux sont un peu liés: ça se passe en huis-clos, on suit des récits de vie, on est tout entier concentré sur ce que l'on voit et entend, les transferts sont fréquents.
Pourtant, la psychanalyse ou les psychanalystes sont souvent mal traités à l'écran, caricaturés à l'extrême. Une série réussit à redonner sa place à ce lieu d'écoute et de vie, "En thérapie" d'Éric Toledano et Olivier Nakache ("Intouchables", "Le sens de la fête"), soit 35 épisodes à découvrir dans son intégralité sur Arte.tv dès le 28 janvier ou sur Arte, du 4 février au 18 mars, à raison de cinq épisodes par soirée.
Ancrage dans un trauma collectif
Au lendemain des attentats du 13 novembre 2015, Philippe Dayan, un psychanalyste (Frédéric Pierrot) reçoit cinq patients en plein désarroi: une chirurgienne en panique amoureuse, un couple en crise, une adolescente suicidaire et un agent de police traumatisé par son intervention au Bataclan. A l'écoute de ces vies bouleversées, un séisme émotionnel va submerger le psy. Pour y échapper, il renoue avec son ancienne analyste (Carole Bouquet) avec laquelle il avait coupé les ponts depuis douze ans et qui résume ainsi l'enjeu d'une thérapie: "Quand on vient consulter, c'est qu'on a quelque chose à dire et quelque chose qu'on ne veut pas dire".
Le casting est brillant: Reda Kateb, Mélanie Thierry, Pio Marmaï, Clémence Poésy ou encore la jeune Céleste Brunnquell, révélation du film "Les éblouis".
Ces tête-à-tête entre le psy et ses patients reprennent le schéma de la série originelle israélienne "Betipul" mais surtout celui de la série américaine "In Treatment", interprétée par Gabriel Byrne. Éric Toledano et Olivier Nakache en ont imaginé l’adaptation française, lui trouvant un ancrage fort dans le traumatisme collectif des attentats de Paris, en novembre 2015. Même si les histoires personnelles d’Ariane, d’Adel, de Camille, de Léonora et Damien n’y font pas toutes référence, leur ensemble reflète l’image d’une société fragilisée, déboussolée, en quête de nouveaux repères. La série a séduit les plus sceptiques des critiques de Vertigo.
Je vais devoir consulter pour addiction tellement j'adore cette série. Elle réussit, avec des éléments simples de la condition humaine, la colère, l'amour, le regret, la peur, à toucher à une forme d'universalité, de passer de l'intime au collectif. En plus, la série brise un tabou, celui de l'infaillibilité du psy, saisi ici par la mélancolie et une forme de désillusion du monde.
Ces tranches de vie se dévoilent dans des face-à-face tantôt libres, tantôt tendus, où la parole est capitale. Comment donner du rythme à des huis-clos où les deux personnages sont assis et où l'action réside dans la parole? Comment passionner un spectateur avec des histoires aussi intimes? Comment filmer un lieu unique sans fatiguer le spectateur? C'est tout le défi relevé par cette série.
Cette série est un cadeau pour les comédiens. Leur jeu est d'une grand subtilité. Ils sont tous excellents avec une mention spéciale pour Frédéric Pierrot dans son rôle de psy qui doit à la fois ne rien laisser paraître, tout en étant lisible pour le spectateur. Il faut aussi rendre hommage aux nombreux scénaristes qui ne nous prennent jamais pour des imbéciles, ils osent aller dans les concepts de la psychanalyse, les enjeux de la thérapie, sans avoir peur de perdre le spectateur en route.
Un avis partagé par Antoine Bal qui avait adoré la série américaine avec Gabriel Byrne et craignait d'être déçu par cette variation française.
Mes résistances sont très vite tombées. Le duo Toledano/Nakache a fait un excellent travail de transposition, dans un pays où la psychanalyse est culturellement importante. Le travail psychanalytique, avec son lot de transferts, résistances et défiances, est très bien disséqué. J'ai particulièrement aimé la figure du psy, auquel on a enlevé sa toute puissance. C'est une belle série sur la relation.
Les deux réalisateurs, qui sont aussi d'excellents dialoguistes, viennent d'annoncer qu'ils sont en train de travailler sur la saison 2 de "En thérapie".
Marie-Claude Martin