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"The Journalist" dénonce des médias japonais trop proches du pouvoir

TheJournalist
Netflix: une série critique le puissant système médiatico-politique du Japon / Tout un monde / 5 min. / le 14 février 2022
Inspiré d'un scandale ayant impliqué l'ancien premier ministre, la série "The Journalist" interroge le fonctionnement de la presse nippone dans un pays où les politiques sont mêlés à de nombreuses affaires de corruption. A voir actuellement sur Netflix.

En six épisodes de 50 minutes, la mini-série "The Journalist" suit les pas d'une journaliste japonaise qui tente de faire la vérité sur une affaire de corruption impliquant le gouvernement. Mais de puissants ennemis tentent d'étouffer ses découvertes.

Affiche de la série "The Journalist". [Netflix]
Affiche de la série "The Journalist". [Netflix]

Le scénario de cette série est largement inspiré d'une affaire de trafic d'influence qui a éclaté en 2017 au Japon et qui a impliqué l’ancien premier ministre Shinzo Abe et sa femme. Un scandale sur lequel a travaillé la journaliste japonaise Isoko Mochizuki et qu'elle raconte dans son essai "Shinbun Kisha" ("Journaliste"). Ouvrage à la base d'un film réalisé par Michihito Jujii en 2019 qui a reçu trois distinctions majeures lors des 43e Japan Academy Film Prize, dont celle du meilleur film de l'année.

Franc-tireuse des infos

Avec toujours le réalisateur Michihito Jujii aux commandes, c'est désormais en série que cet essai est décliné. On retrouve dans le rôle principal l'actrice Ryoko Yonekura ("Doctor X", "Legal V") qui interprète Anna Matsuda, une correspondante locale du journal "Tôto Shimbun" qui se démène pour démêler des affaires d’Etat.

Comme la vraie journaliste Isoko Mochizuki, Anna Matsuda est réputée pour ses questions directes et ses critiques. Surnommée la "franc-tireuse des infos", elle se retrouve bien seule parmi des collègues très acoquinés avec le pouvoir en place.

Une des premières scènes de la série se déroule dans la salle de conférence de presse du porte-parole du gouvernement, durant laquelle l'échange entre la journaliste et le représentant de l’exécutif est pour le moins rude.

Interrogée par la RTS, la journaliste Isoko Mochizuki indique: "J’ai vraiment une sensation étrange en voyant la série et en me remémorant ces conférences de presse. Je me dis à nouveau qu’il s’agissait de conférences de presse anormales. Personnellement, je ressentais de la colère… Et je n’étais pas la seule, des citoyens aussi. Je me demande dans quelle mesure le porte-parole du gouvernement d’alors y réfléchissait. Il n’avait pas de respect pour les journalistes."

Egalement interviewé par la RTS, César Castellvi, sociologue, maître de conférences à lʹUniversité de Paris et auteur de "Le dernier empire de la presse. Une sociologie du journalisme au Japon" (CNRS éditions), explique que cette série montre "un personnage qui va mettre de côté toutes les règles implicites respectées par ses collègues". Ayant lui-même travaillé dans un grand quotidien japonais comme assistant, il estime que "même si tout ne se passe pas toujours comme cela, les scènes décrites dans la série ne sont pas du tout exagérées".

>> A écouter: l'entretien avec le sociologue César Castellvi autour du monde médiatique japonais :

Yomiuri Shimbun. [AFP - Naoya Azuma / Yomiuri]AFP - Naoya Azuma / Yomiuri
Le Japon, "dernier empire de la presse" / Médialogues / 21 min. / le 14 février 2022

Interdépendance entre journalistes et pouvoir

Au Japon, chaque grand média a un journaliste installé à demeure dans les hauts-lieux du pouvoir comme les ministères, la banque centrale ou les préfectures. Appelés "kisha clubs" (club de journalistes), ces groupes ont été constitués au départ pour permettre aux médias de faire pression sur le pouvoir afin d'obtenir des informations.

Mais ces clubs ont depuis perdu leur rôle de vigie et une forme d’interdépendance entre les "kisha clubs" et le pouvoir s'est installée. Les premiers acceptent de communiquer leurs questions avant les conférences de presse et se contentent de la lecture de réponses rédigées par des fonctionnaires. En échange, le gouvernement leur garantit en coulisses des informations supplémentaires.

Eveiller la curiosité envers le journalisme japonais

Mais aujourd'hui, des journalistes indépendants et correspondants étrangers protestent ouvertement et utilisent les réseaux sociaux pour faire connaître les travers de ces "clubs de journalistes". Encore très puissants, les grands journaux japonais sont aussi désormais confrontés à une critique croissante des citoyens et citoyennes qui s’informent différemment.

"'The Journalist' est certes une fiction, mais je pense que ce serait bien qu’elle éveille de la curiosité envers le journalisme japonais", conclut pour sa part Isoko Mochizuki.

Sujets radio et propos recueillis par: Karyn Nishimura et Antoine Droux

Adaptation web: Andréanne Quartier-la-Tente

"The Journalist", mini-série en 6 épisodes, disponible sur Netflix, actuellement en japonais sous-titré en français

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