Les séries télévisées, longtemps considérées avec dédain ou mépris comme des objets de pur divertissement, sont désormais des objets d’étude sérieux. Du déterminisme social dans la série culte The Wire à la dérive autoritaire des démocraties dans Homeland en passant par les risques liés aux technologies dans Black Mirror ou Westworld, les exemples de thématiques importantes décortiquées sur nos petits écrans sont nombreux.
Et avec la multiplication des plateformes et de moyens financiers alloués à leurs produits-phares, de nombreuses oeuvres récentes mettent en avant de manière très frontale des questions socio-politiques jusque-là insuffisamment traitées - ou de façon caricaturale - comme la violence contre les femmes (Unbelievable, 13 Reasons Why), le racisme (When They See Us, Watchmen, Lupin), les violences policières (We Own This City), la déshumanisation dans le monde de l'entreprise (Severance) ou encore les difficultés des professions du care (Maid).
"Ne pas faire la morale"
Derrière ces exemples, il y a une ambition pédagogique et la volonté d’attirer l'attention sur des situations négligées ou oubliées. Par ailleurs, des figures influentes sur nos écrans peuvent avoir un impact sur le public et les représentations collectives, à travers les habitudes visuelles. Qu'il s'agisse du président Palmer dans 24h Chrono, qui a pu contribuer à habituer son public à l'idée d'un président noir, ou des personnages queer ou LGBT+ dans des séries plus récentes.
"Les séries ne font pas la morale, puisque personne n'aime qu'on lui fasse la morale de façon didactique", rappelle toutefois Sandra Laugier, professeure à l’université Paris-1 Panthéon-Sorbonne, dimanche soir dans Forum.
"Au contraire, elles éveillent les capacités morales des spectateurs eux-mêmes, en essayant de leur faire exercer leur propre capacité morale et politique", poursuit la chercheuse qui a dirigé l'ouvrage collectif "Les séries - Laboratoires d’éveil politique", publié chez CNRS Editions et qui décortique une vingtaine de séries.
Impact très direct
Elle souligne l'impact énorme qu'a ce médium en raison de son aspect populaire. "Ce que nous montrons dans ce livre, c'est à quel point les séries ont influencé les opinions publiques et ont développé des idées extrêmement progressistes qui ne sont pas forcément autant développées dans d'autres médias, parfois plus élitistes."
"Pour toucher un vaste public, en réalité, il faut avoir des séries qui sont inclusives", souligne-t-elle.
Enfin, selon Sandra Laugier, l'un des exemples récents les plus frappants est celui de la série ukrainienne "Le servant du peuple", dans laquelle l'actuel président Volodymyr Zelensky, alors comédien, incarnait le premier rôle. Cela montre aussi que les séries TV ont désormais une telle place dans la vie des spectateurs et spectatrices qu'elles sont non seulement un "miroir de la société", mais qu'elles ont aussi un effet concret, performatif, sur le monde.
>> Lire à ce sujet : Rétrospective: les meilleures séries de l'année 2022
Propos recueillis par Thibaut Schaller
Texte web: Pierrik Jordan