Rappel des faits. Pourquoi deux festivals dédiés aux séries internationales en France? A la fin des années 2000, Paris abrite au Forum des Halles Séries Mania. A Cannes en 2014, David Lisnard, alors en campagne électorale à la mairie de la ville, fait la promesse pour séduire les jeunes de créer un festival de séries sur le modèle de celui du film.
Fin 2015, Flore Pellerin, ministre de la Culture, ordonne à Laurence Herszberg, directrice du Forum des Halles, de lancer un festival international des séries en France, le lieu parisien étant devenu trop petit pour accueillir un public toujours croissant. Janvier 2017, Lille est retenu au détriment de Cannes et Paris. Si Laurence Herszberg s’installe dans les Hauts-de-France avec le droit d’exploiter le nom Séries Mania, David Lisnard tient malgré tout sa promesse électorale et initie son Canneseries. Il invite Flore Pellerin, ex-ministre depuis 2016, à le diriger.
Bataille rangée
Rapidement, les deux rendez-vous se livrent une bataille rangée à coups de tweets assassins. La proximité des dates crispe. Chacun met en avant sa philosophie pour marquer sa différence.
Cannes, pour gagner le match malgré un budget moins massif que Lille, peut compter sur un soutien infaillible de Canal+, sur la magie de la French Riviera pour attirer des stars (Michael Douglas ou Kyle MacLachlan cette année), sur un tapis glamour rose plutôt que rouge pour ne pas empiéter sur les plates-bandes du festival du film et, surtout, sur une association avec le mythique MIPTV, un marché du programme télé incontournable dans le monde entier depuis 1963.
Lille a tout à construire, un tapis violet autant qu’une image de festival mondial attractif dans une ville qui a priori ne fait pas rêver. Il faut draguer les chaînes françaises et les plateformes américaines pour obtenir des séries en avant-première. Il faut faire les yeux doux aux professionnels du monde entier pour les convaincre de fréquenter le Forum. La tâche est ardue, mais les Lillois ne manquent pas de caractère pour y parvenir.
L'année 2024, un tournant
2024 marque un tournant. Après l’épisode du Covid, la fréquentation du MIPTV a chuté, n’atteignant plus jamais les niveaux record d’avant 2019. Pire pour Cannes, cette année, le Forum de Lille avec 4200 accrédités a laminé un MIPTV aux 130 exposants seulement! Lille est devenu le rendez-vous français incontournable pour les professionnels du monde entier. De leur point de vue, l’annonce du MIPTV en partance pour Londres est une très bonne nouvelle et permettra avec le Forum lillois de goupiller toutes les affaires avant la fin du premier trimestre de chaque année.
Le coup est rude à encaisser sur la Croisette. Mais à demi-mot, Benoit Louvet, le directeur général de Canneseries, admet un demi-problème: "Canneseries a su tirer son épingle du jeu et se faire connaître et apprécier à l’international. Nous n’avons plus besoin d’un marché énorme pour exister sur l’échiquier mondial et proposer une programmation de qualité ».
Du côté de la mairie, un marché important est la garantie d’un taux de remplissage très haut des hôtels et des restaurants, ce qui justifie auprès du contribuable d’investir dans un tel évènement. Or, cette année, le MIPTV n’a pas attiré le public escompté. Comment corriger le tir, sachant que Séries Mania se déroulera du 21 au 28 mars 2025?
Quelle configuration à l'avenir?
Le plus évident, pour éviter une probable mise en en bière, semblait que Canneseries s’acoquine avec le MIPCOM, le marché international des contenus audiovisuels et de la coproduction, un rendez-vous mondialement reconnu qui se déroule chaque année à Cannes avant la Toussaint. La prochaine édition aura lieu du 21 au 24 octobre 2024. Eh bien non! Canneseries se maintiendra au printemps, du 21 au 27 avril 2025. De fait, les sourires affichés par le maire de la ville, les dirigeants de la manifestation et même ceux de Canal+ annonçant une prochaine édition décoiffante ressemblent furieusement à un étrange chant du cygne.
Que le public cannois se rassure, en 2025, il pourra encore jouer du selfie avec des stars et savourer une sélection de séries de très haute volée. Mais pour combien de temps? Le nuage Netflix est déjà en train de noircir l’horizon. Pour la première fois depuis 2018, la plateforme s’est offert une virée à Lille et a même ouvert Séries Mania en fanfare avec "Le problème à trois corps », laissant à Canneseries la très attendue "Fiasco", très attendue en France uniquement. Ceci dit, une défection du géant se remarquera à peine tant les catalogues de Canal+, HBO, Disney+, AppleTV+ et Prime pour 2025 seront de toute façon aussi attractifs que ceux d'Arte, France TV, TF1, M6 et Netflix. Le suspense dans la prochaine saison de cette guerre des festivals reste total.
Philippe Congiusti/olhor
Canneseries couronne la série allemande "The Zweiflers"
La série allemande "The Zweiflers", chronique contemporaine d'une famille juive dysfonctionnelle entre Francfort et Berlin, a triomphé mercredi 10 avril au festival Canneseries. Après six jours de projections et rencontres, le palmarès a été dominé par des productions européennes.
Dans la catégorie séries longues, le jury présidé par l'actrice danoise Sofie Grabol ("The Killing") a récompensé "The Zweiflers", sur la succession d'un delicatessen familial, lui octroyant le prix de la meilleure série et celui de la meilleure musique. Cette fiction, qui plonge dans le quartier rouge de Francfort, a également séduit le jury des lycéens.
La série norvégienne "Dumbsday", comédie absurde dans laquelle une bande de bras cassés doit sauver l'humanité frappée par un virus qui rend les gens complètement stupides, a remporté le prix du meilleur scénario.
Celui de la meilleure interprétation a été décerné à l'actrice espagnole Aina Clotet pour "This Is Not Sweden". Le casting de la série serbe "Operation Sabre", sur l'assassinat du Premier ministre de Serbie Zoran Djindjic en 2003, a également reçu un prix spécial.
Dans la catégorie documentaire, c'est la série d'Arte "DJ Mehdi: made in France", sur le producteur et ambassadeur de la "French Touch" décédé en 2011 qui a été primée, tandis que la série argentine "Rather Burn", sur un trio d'amis en deuil accomplissant une liste de tâches insolites a remporté le prix de la meilleure série courte.
Un jury d'étudiants a par ailleurs décerné le prix de la meilleure série courte à la finlandaise "Money shot", immersion dans l'envers du décor du porno.