Sexe dans les séries américaines, trente ans de représentation décryptés dans un livre
Personne d'autre que Benjamin Campion ne pouvait s’attaquer à tel sujet. Enseignant à l’université de Montpellier et chargé de cours à celle de Lille, ce docteur en études cinématographiques et audiovisuelles, déjà auteur d’ouvrages comme "Le concept HBO" ou "HBO et le porno", offre cette fois dans "Histoire sexuelle des séries américaines" une monographie des plus charnues pour raconter la lente évolution de la représentation du sexe à l’écran, alors qu’il se glisse partout dans le quotidien.
Même une comédie pétillante comme 'Sex and the City' s’est parfois exercée à teinter d’amertume un acte aussi trivial et fonctionnel que la fellation.
Toute la première partie de son étude consiste en un regard enrichissant dans le rétroviseur, des années 1950 à 1980. Il explique que rien n’est dévoilé pour des raisons de mœurs. Tout juste donne-t-on à voir sur ABC de jolies filles qui gloussent et se trémoussent dans des séries dites "Tits and Ass" ("seins et fesses") comme "Les drôles de dames". Les mâles aux pectoraux bien sculptés de "Miami Vice" sur NBC ou le moustachu tombeur de "Magnum" sur CBS vont prendre à leur tour d’assaut le petit écran. Mais il n’est toujours pas question d’offrir des scènes de nudité.
Suggérer sans montrer
Les chaînes pratiquent plutôt l’art de la suggestion. Pour le montrer avec brio, Benjamin Campion décrypte une scène inoffensive de conversation entre deux copines dans la série "Ally McBeal". Pour insister sur l’importance des préliminaires dans l’acte sexuel, l’héroïne déguste un cappuccino langoureusement, les lèvres couvertes de mousse. En pleine extase, elle est reluquée à son insu par deux hommes depuis l’encablure d’une porte. Cette mise en scène dissipe tout doute sur l’intention réelle du réalisateur, qui copie outrageusement la grammaire des films pornographiques à grand renfort de gros plans et hors champ où Ally gémit de plaisir.
Et le livre d’arriver à ce tournant significatif opéré dans les années 1990, période où les programmes à péage du câble font preuve d’audace dans leurs productions originales. Les chaînes non payantes, pour maintenir leur audience, sont contraintes de suivre le mouvement dans le cadre imposé par le FCC (Federal Communications Commission), l’organe de surveillance de la télévision.
La déflagration "Sex in the City"
En 1998, explique Benjamin Campion, HBO sonne la révolution avec "Sex in the City", où les protagonistes abordent le sexe sous toutes ses coutures avec une liberté de ton nouvelle. Dans son sillage, ABC franchit la ligne en février 2003 avec un épisode de "NYPD Blue" dans lequel apparaissent des images fugaces d’une femme nue dans une salle de bain. Malgré les plaintes du public, la chaîne en sera quitte pour un simple rappel à l’ordre par le FCC. La porte s’ouvre alors à la nudité dans les séries.
Dans son ouvrage, Benjamin Campion étudie encore la masturbation, le sexe oral, la panne sexuelle, les positions dont le 69 est le grand absent, le sadomasochisme, le viol, les scènes d’éjaculation masculine comme féminine, encore taboues, ainsi que l’éveil des préados et la sexualité des seniors. Il s’attarde aussi sur l’affaire Weinstein et ses conséquences.
Le rôle des nouveaux coordinateurs d'intimité
Les violences faites aux femmes sont depuis devenues un sujet central pour les séries, alors que #MeToo a eu pour effet la création d’un nouveau métier sur les plateaux de tournage: celui de coordinateur d’intimité, médiateur indispensable entre production et casting pour veiller au bon déroulement des scènes de sexe dans le respect et le consentement.
Non seulement la plupart n’osaient pas s’opposer aux demandes des réalisateurs, mais elles hésitaient même à admettre qu’elles éprouvaient de la gêne, craignant d’être considérées par l’équipe technique, à l’instar de Ruth Wilson sur le tournage de 'The Affair', comme des actrices difficiles.
Avec cette somme, Benjamin Campion ravira autant les férus de séries américaines qui se remémoreront avec plaisir les séquences décortiquées que les néophytes qui n’auront qu’une envie, se jeter sur le visionnage des nombreuses références citées par l’auteur. Un livre indispensable.
Philippe Congiusti/mh
Benjamin Campion, "Histoire sexuelle des séries américaines des années 1990 à nos jours", éd. Lett Motif, janvier 2024.
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