Les séries made in Suisse romande ont le vent en poupe

Grand Format

Introduction

Qui n’a pas regardé au moins une série cette année? Le format est l'un des plus rassembleurs sur les plateformes payantes ou à la télévision. Depuis quelques années, la qualité des séries créées en Suisse romande ne fait que s'améliorer. Décryptage.

Chapitre 1
Les séries et la RTS

Tournage des *Indociles" ©RTS/Jay Louvion - Jay Louvion

Il existe deux sortes de séries proposées sur la RTS: les suisses estampillées RTS dans le cadre de la politique fictions de la SSR et les internationales achetées clé en main. Logo rouge pour les plus osées, prime time pour les plus accessibles, milieu d’après-midi pour les inoffensives, tous les genres sont programmés pour satisfaire tous les publics. Historique, thriller, policier, comédie, drame ou romance, de "NCIS" à "Inspecteur Barnaby" en passant par "Top Model", "True Detective" ou "Downtown Abbey", rien ne doit échapper au département acquisition de la RTS pour satisfaire ses publics.

La condition sine qua non pour garantir un achat: respecter la primo-diffusion, comme avec la série française "HPI". Cette production TF1 est toujours diffusée en Suisse avant la chaîne française. Ainsi, le public romand adepte des facéties d'Audrey Fleurot peut découvrir en primeur ses aventures et éviter toute tentation d'aller voir sur TF1 si elle y est! Aux environs de 100 francs la minute, l'investissement est largement rentabilisé au regard de chiffres d'audiences excellents, une valeur sûre qui repose sur un personnage décalé, le genre que les téléspectateurs plébiscitent aujourd’hui.

>> A écouter, "Nos séries made in Suisse romande" (1/5) :

La Chance de ta vie
Vertigo - Publié le 23 décembre 2024

La RTS préachète également des séries en se basant sur la lecture de scénarios. La programmation est alors envisagée bien longtemps avant la livraison du produit fini, ce qui parfois engendre des déceptions, le résultat final n'étant pas à la hauteur des espérances. Mais, en dehors du sujet ou du genre abordé, le casting ou le nom d'un cinéaste rattaché à un préachat sont autant d’éléments déterminants pour limiter les mauvaises surprises.

Pour compléter l'offre, et aussi parce que cela fait partie du mandat de service public de la RTS, le département Fiction en développe avec le concours de maisons de productions suisses. Entre deux et trois séries dites swiss made sont ainsi finalisées chaque année, pas plus pour des raisons budgétaires, ce qui induit des choix drastiques.

Deux fois l'an, auteurs et sociétés de production sont appelés à proposer leurs idées. Beaucoup postulent, mais très peu sont retenus! Les projets qui entrent dans la ligne éditoriale défendue par la RTS partent en développement. Un long travail d'accompagnement pour aider à l'écriture et bétonner le financement est alors nécessaire avant une mise en chantier.

Chapitre 2
Les séries, une affaire de pros

Une image de la série "Wilder". SRF/Oscar Alessio

Il n'y a pas si longtemps, les cinéastes qui réalisaient des séries étaient considérés comme des pestiférés dans le milieu du 7e art. Lorsqu'après le succès de son film "Simon Werner a disparu" en 2010, Fabrice Gobert a exprimé son souhait de réaliser une série, les réactions dans son environnement professionnel ont été épidermiques. Pourtant, et avec le concours du Suisse Frédéric Mermoud, ils ont signé avec Canal+ l'adaptation en série du film de Robin Campillo, "Les revenants", qui fit sensation en 2013 sur la RTS.

Aux Etats-Unis, des pointures ont offert leur talent au genre de la série. Qui pour critiquer la sublime "Twin Peaks" de David Lynch, "House of Cards" dont les deux premiers épisodes ont été mis en boîte par David Fincher ou encore le premier de "Boardwalk Empire" réalisé par Martin Scorsese? Même Tarantino s'est laissé happer en signant un épisode de la série "Urgence" et le final de la saison 5 des "Experts" en 2005.

En Suisse, l'un de nos meilleurs cinéastes en activité, Pierre Monnard, peut se targuer d'avoir su jouer avec talent sur les deux tableaux. Il aborde à chaque fois un film de cinéma ou une série pour la télé de la même manière. "Même si les codes et la grammaire diffèrent, ce que j'apprends pour la télé me sert pour le cinéma et inversement. Je ne me verrais pas être cantonné à un seul domaine. J'en serais triste", dit-il dans l'émission Vertigo du 24 décembre.

>> A écouter, "Nos séries made in Suisse romande" (2/5) :

Les Indociles
Vertigo - Publié le 24 décembre 2024

C'est ainsi qu'il a réalisé les deux premières saisons de l'excellente série policière "Wilder", avant d'enchaîner sur "Anomalia" et, dernièrement, sur la très attendue première collaboration entre Netflix et la RTS pour "Winter Palace", tout en poursuivant sa carrière sur grand écran avec des succès comme "Les enfants du Platzspitz".

Si les cinéastes ont contribué à améliorer la qualité des séries, de la même manière "la série et ses codes ont dynamité l'inventivité au cinéma", selon Eric Toledano ("Intouchable", "En thérapie"). L'explosion de la frontière aura finalement servi la cause des deux mediums.

Chapitre 3
La lex Netflix change la donne

KEYSTONE - GAETAN BALLY

Nouvelle loi qui oblige les diffuseurs étrangers, plateformes ou chaînes de télévision à investir une partie de leur chiffre d'affaires effectué sur notre territoire dans des productions helvétiques, la lex Netflix est devenue réalité depuis le 1er janvier 2024. De quoi offrir davantage de diversité tout en galvanisant la production de séries suisses toujours plus ambitieuses.

>> A voir, la bande-annonce de la série "Winter Palace" :

Winter Palace. [RTS]
Winter Palace - Publié le 9 décembre 2024

La première à en avoir bénéficié, "Winter Palace" de Pierre Monnard, n'aurait jamais pu se faire sans une collaboration Netflix-RTS. Il fallait bien plus que les six ou sept millions habituellement engagés sur une série pour qu'elle voie le jour. La RTS seule ne pouvait offrir à la société de production PointProd de quoi finaliser un projet multilingue, d'époque, nécessitant une logistique colossale pour un tournage autant en altitude que sur la Riviera vaudoise, avec des costumes à foison, pour conter la naissance de l'hôtellerie hivernale de luxe dans les Alpes helvétiques.

>> A lire aussi : Très attendue, la série "Winter Palace" débarque sur la RTS le 26 décembre

De l'aveu de Pierre Monnard, "Winter Palace" était tellement risqué que "jamais il n'aurait pu être financé pour un film de cinéma, les investisseurs étant devenus trop frileux par rapport à ceux de la série. L'entrée de Netflix dans la ronde, même après la phase d'écriture, fut une aubaine inespérée pour nous". Associé à toutes les étapes de la production, le géant du streaming a vu là une belle opportunité de mettre son expertise, et pas seulement son argent, au service d'une série qui raconte la Suisse au reste du monde.

Si à la RTS les méfiances liées à une concurrence de ces nouveaux acteurs privés sur notre territoire, susceptibles de produire seuls leurs propres séries suisses, se sont estompées, il n'empêche qu'aujourd'hui plus rien n'interdit de trouver un financement hors service public. Cela ouvre la porte à toutes les extravagances, y compris des séries de genre très loin du cahier des charges de la RTS et qu'elle ne produira jamais.

>> A écouter, "Nos séries made in Suisse romande" (4/5) :

Winter Palace
Vertigo - Publié le 26 décembre 2024

Pour l'heure, ces nouveaux acteurs devenus de véritables partenaires privilégient les collaborations comme "Winter Palace" ou les co-productions comme celle avec TF1 sur "Log-Out". La nuance entre collaboration et coproduction étant du verbatim incompréhensible, puisque service public et diffuseurs privés ont à cœur d'œuvrer de concert pour offrir à leurs publics respectifs des séries de qualité qui parlent de la Suisse au reste du monde.

Le savoir-faire de la RTS et des sociétés de production avec lesquelles elle travaille est largement reconnu. Le cinéaste Bruno Deville ("Bouboule") a constaté depuis "CROM", sa série dans le monde des éboueurs réalisée en 2009, que "les techniciens qui œuvrent en Suisse se sont professionnalisés. C'est en faisant que l'on a appris à faire. Aujourd'hui, on est devenu capable de réaliser des séries qui plaisent au public, mais qui s'exportent aussi plus facilement", affirme-t-il.

>> A voir, un sujet sur la série "CROM" (2012) :

Sujet sur la série CROM (Grand Angle du 8 janvier 2012)
RTS Fiction - Publié le 12 janvier 2012

Une industrie suisse existe autour des séries. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si cette année SwissFilms, l'organe de promotion du cinéma suisse, a inauguré un nouveau label Swiss Series pour vendre notre savoir-faire à l'international et servir d'intermédiaire entre les faiseurs suisses et les investisseurs étrangers.

L'avenir s'annonce radieux, à condition, comme le souligne le cinéaste Denis Rabaglia ("Marcello Marcello", "En haute mer") "d'avoir des sujets qui intéressent les diffuseurs étrangers. Quand on a fait les banques et la marine marchande, que reste-t-il? L'espionnage ou la diplomatie? Notre réel problème est que la Suisse n'est pas un territoire d'histoires épiques!".

Chapitre 4
Les différences entre cinéma et série?

"Les indociles". RTS

La série, c'est excitant, ne serait-ce que par le nombre de personnes qui vont découvrir votre travail. Dans le documentaire "Cinéastes en série" diffusé en janvier 2025 sur Canal+, le réalisateur Cédric Klapisch rappelle que la série "Dix pour cent" a dépassé les six millions de téléspectateurs à chaque épisode qu'il a réalisé, alors que "L'auberge espagnole" ou "Les poupées russes", ses plus grands succès en salle, ont fait la moitié d'entrées!

La série tente bon nombre de cinéastes, mais encore faut-il en accepter les grands principes. Pour commencer, chaque scène doit faire avancer le récit, contrairement à un film où des temps morts sont ménagés. Et quid du culte du "cliffhanger"? Le même Cédric Klapisch affiche son agacement face à cette volonté d'imposer systématiquement un élément inattendu pour inciter à visionner l'épisode suivant et qui oblige souvent à des artifices téléphonés.

Eric Judor enfonce le clou avec cette réplique cinglante: "On bouffe tiède sur les plateformes", voulant dire par-là qu'à force de vouloir contenter tout le monde, on prend des ingrédients qui ne s'accommodent pas ensemble et on livre un nauséeux gloubi-boulga.

Pour Denis Rabaglia, qui a réalisé sa première série cette année avec "En haute mer", le grand retournement de situation annoncé à quelques secondes de la fin d'un épisode lui est apparu comme une mécanique beaucoup trop contraignante. Sans parler du culte du premier épisode, qui concentre toutes les attentions, frisant l'hystérie parfois. "Au cinéma, comme on ne peut pas quitter la salle, on peut laisser au spectateur vingt bonnes minutes pour qu'il voie où le film va l'emmener. Pas en série! On est plus sur le mode du 'convainc-moi de regarder ta série jusqu'au bout dès le premier épisode ou sinon je me tire!' Alors tout le monde s'excite autour du premier épisode."

>> A voir, la bande annonce de "En haute mer" :

En haute mer - Le trailer
En haute mer - Publié le 1 novembre 2024

>> A lire aussi: : "En haute mer", une prise de risque payante pour une série à voir sur Play RTS

En termes de mise en scène, Denis Rabaglia explique que sur "En haute mer", il a envisagé ses plans sur le vraquier loué exprès comme au cinéma, sans faire de distinction. Le décor étant déjà très cinématographique, il ne voulait pas se priver de prendre le temps de choisir des axes de caméras idéaux pour tirer le maximum de ce décor grandiose. En revanche, il a dû aller plus vite sur certaines scènes ne nécessitant pas une attention particulière, revoir sa manière de travailler pour rentrer dans les délais imposés.

Le rythme intense est épuisant et difficile à encaisser. La réalisatrice Delphine Lehéricey se souvient que sur le tournage des "Indociles" (2023), il fallait tourner nettement plus de séquences par jour qu'au cinéma. Les équipes sous stress doivent être agiles et efficaces, d'où cette réflexion de Katell Quillévéré dans le documentaire "Cinéastes en série": "La série, c'est l'endroit du burn-out!".

Mais alors pourquoi Delphine Lehéricey a-t-elle accepté de tourner "Les indociles"? Parce qu'elle adore les personnages et que "la série offre cette possibilité de réellement les développer sur la durée et ce d'autant plus sur un projet qui déroule une histoire sur plusieurs décennies".

>> A écouter, "Nos séries made in Suisse romande" (3/5) :

En haute mer
Vertigo - Publié le 25 décembre 2024

Qu'ils soient suisses ou étrangers, les cinéastes qui ont tâté de la série ont des avis contrastés. Celles et ceux comme Pierre Monnard, capables de se mettre au service d'une commande tout en réussissant à imposer leur patte, rempilent volontiers.

D'autres, comme Michel Gondry sur "Kidding", avouent avoir détesté l'exercice. "Je ne me suis jamais senti considéré comme un cinéaste, mais plutôt comme un technicien aux ordres d'un showrunner qui avait tout défini en amont. Entre regarder des séries et en faire, il y a un écart que je n'avais pas imaginé", lance-.t-il dans le documentaire "Cinéastes en série".

Chapitre 5
Les temps forts de 2025

Sur le tournage de la série "Espèce menacée" © RTS / Laurent Bleuze - Laurent Bleuze

En 2025, trois séries swiss made seront à la une de l'actualité, à commencer par "Espèce menacée" de Bruno Deville. La série a fait ses premiers pas au Festival de Locarno et devrait être diffusée en télévision au moment de Carnaval.

>> A écouter, "Nos séries made in Suisse romande" (5/5) :

Série "Espèce menacée". [RTS]RTS
Vertigo - Publié le 27 décembre 2024

En quelques mots, "Espèce menacée" réunit tout ce que la Suisse romande compte d'humoristes: Marina Rollman, Thomas Wiesel, Yann Marguet et les deux Vincent (Kucholl et Veillon) pour ne citer qu'eux. Les six épisodes de 45 minutes évoquent le dérèglement climatique, un enterrement de vie de jeune fille qui tourne au drame, un stage de développement personnel, une disparition intrigante et un glacier qui fond, le tout sur un ton tragicomique.

>> A lire : La série "Espèce menacée" présentée en première mondiale au Festival de Locarno

Bruno Deville a eu cette idée en plein hiver en station, alors que la montagne manquait cruellement de neige. Amoureux des humoristes suisses, il a pu les réunir dans une intrigue qui pourrait ressembler aux "Bronzés ne font plus de ski", comme il le dit.

Dans un autre registre, Jean-Stéphane Bron vient de terminer "The Deal", en co-production avec Arte. La série raconte, par le prisme d'une diplomate suisse, les coulisses des négociations sur le nucléaire iranien qui se sont déroulées à Genève en 2015. Notre pays n'a certes pas pris part aux négociations, mais a joué les facilitateurs. Pour le documentariste lausannois, l'avantage de cette série a été de pouvoir raconter ce qui a été impossible à montrer dans un documentaire.

>> A lire également : "The Deal", nouvelle série de Jean-Stéphane Bron tournée en partie sur les bords du Léman

Enfin, le tournage de la co-production RTS-TF1 "Log Out" de Luc Walpoth vient de s'achever et elle sera aussi à l'antenne en 2025. Cette série lorgne sur le thriller et le drame familial alors qu'une mère et son fils fuient un hacker. La déconnexion numérique devient leur salut dans ce road movie où le passé va refaire surface, notamment celui du défunt mari de l'héroïne. Sofia Essaïdi, Arcadi Radeff et Alexis Michalik en sont les principaux interprètes.

D'autres projets prometteurs sont dans les tuyaux. Les aficionados du procureur neuchâtelois Jemsen créé par l'écrivain Nicolas Feuz seront ravis d'apprendre qu'une série adaptée de son polar fiévreux "Le miroir des âmes" est actuellement bien lancée. Mais avant que la série soit réalisée et visible sur nos écrans, il faudra sans doute encore attendre de longs mois.