Publié

"Blue Moves", une ode dansée au blues, au travail et à la sueur

Une image du spectacle "Blue Moves" du chorégraphe et danseur Rudi van der Merwe. [facebook.com/adc.danse.contemporaine - Gregory Batardon]
Théâtre: " Blues Moves ", de Rudi van der Merwe, à lʹADC de Genève jusquʹau 16 décembre 2018 / Culture au point / 5 min. / le 7 décembre 2018
Chorégraphe et danseur d’origine sud-africaine, Rudi van der Merwe présente "Blue Moves" à Genève, salle de l'ADC jusqu'au 16 décembre. Travail à la chaîne, chansons de blues, sexe et danse mènent le bal.

Il a le blues Rudi van der Merwe. Il ne l'a pas dans la peau, mais carrément au cœur du muscle et de l'os. Lorsqu'il travaille ses mouvements, seul dans son studio, le chorégraphe et danseur écoute du blues. Jusqu'à présent, cela ne se savait pas. Cela ne se voyait pas non plus dans ses créations de danse contemporaine. Des oeuvres très plastiques, avec une installation, des écrans parfois et une thématique sociale ou politique qui donnaient l'impulsion au mouvement.

Rudi van der Merwe était un homme de concept. Avec "Blue Moves", pour la première fois, c'est le contraire qui se produit. La musique est au cœur du sujet. Et les danseurs au service du blues.

De Calvinia à la Cité de Calvin

Avant d'être membre de la troupe de Gilles Jobin, puis de devenir un danseur et chorégraphe de la scène romande apprécié internationalement, Rudi van der Merwe est né à Calvinia. De Calvinia à la Cité de Calvin, il n'y a qu'un petit pas linguistique. Culturellement, c'est un gouffre.

Calvinia, ses moutons, son rooibos, sa culture protestante et naguère son apartheid. Avoir vécu en Afrique du Sud dans la peau d'un blanc, avoir habité une petite ville où le maire actuel se nomme… Schwarz, ça donne une saveur toute particulière au blues, à ses chants de labeurs ou de malheur, à l'histoire du peuple noir.

Un hommage au travail

Partant du blues, Rudi van der Merwe rend hommage au travail, au geste mille fois répété, à la lancinance du boulot à la chaîne, parfois même enchaîné. Ce n'est plus une compagnie de danse qui entoure le chorégraphe, c'est un chain Gang qui chante le blues dès son entrée sur le plateau de danse. La chorale est parfaite, Rudi van der Merwe sait s'entourer.

Genève et son melting pot sont bien pratiques. Il y a là Marthe Krummenacher, américaine d'origine. Kylie Walters et Jószef Trefeli, tous deux australiens. Et du coup, le quatuor chante juste et ça balance. Côté cour du plateau, s'allonge une file de sceaux noirs en plastiques. Les danseurs vont les porter, se les passer dans un mouvement qui rappelle le travail des esclaves ou les chaînes de pionniers lorsqu'il s'agissait d'éteindre un incendie avec les moyens du bord.

Une ode à la sueur

La scène est sombre, les mines sont graves et le blues omniprésent: des chansons de Bessie Smith ou de Ma Rainey. Les sceaux traversent la scène dans un ballet parfaitement orchestré. Ils se renversent enfin, s'avèrent pleins d'eau. Et le spectacle de basculer dans un autre hommage. Nous ne sommes plus chez les forçats noirs afro-américains. Nous voici chez Andy Warhol et son long métrage "Blue Movie" à la sexualité pénétrante.

Rudi van der Merwe travaille comme un peintre. Il apprécie le motif, explore le leitmotiv. Au final, "Blue Moves" est une formidable ode à la peine et à la sueur. Sueur du travail et sueur du sexe. On n'est pas dans une comédie musicale R'N'B, encore moins dans le film "O'Brother" des frères Cohen. Rudi van der Merwe reste de la danse contemporaine, à priori à mille lieues de l'univers de BB King. Et pourtant, le moins qu'on puisse dire, c'est que le blues lui va bien au teint.

Thierry Sartoretti/ld

"Blue Moves" à Genève, salle de l'ADC jusqu'au 16 décembre.

Publié