"C'est du grand Guignol burlesque. Une histoire terrorifique!" Le mot pourrait être de Dali… Dans sa loge de metteur en scène, Oscar Gomez Mata affiche une mine de félin gourmand. Il a ri, il a tremblé, lorsqu'il a découvert la série télévisée danoise "Riget", titrée "L'Hôpital et ses fantômes" pour nous autres francophones.
Cette série est culte, c'est peu dire. "Riget" porte la patte du cinéaste Lars Von Trier, génie du septième art passablement secoué, controversé et radical dans ses choix artistiques. Ces jours-ci, c'est sur la scène de La Comédie de Genève que s'ouvrent les portes du "Royaume", traduction plus authentique et littérale du danois "Riget".
Dans le temple de la rationalité
Une série télévisée adaptée au théâtre? Une sacrée gageure et un pied de nez aux poncifs qui voudraient que théâtres et cinémas se vident à cause de la consommation de séries à domicile… "J'adore cette histoire d'irrationnel dans un temple de la rationalité", ajoute le metteur en scène genevois qui avait récemment adapté un autre film de Lars Von Trier, l'excellent et drôlissime "Le Direktor".
>> A lire, l'article de RTS Culture : "Le Direktør", une comédie déjantée à voir au Festival de la Bâtie
De quel temple de la rationalité parle-t-on? Le "Royaume", c'est le surnom du principal hôpital du Danemark. Un monstre de béton, des centaines de chambres, des milliers d'employés, des kilomètres de couloirs et un sous-sol tentaculaire. Une ruche bourdonnante qui ne dort jamais. Un lieu construit sur les ruines d'un ancien hôpital, lui-même construit sur un ancien marais, où se trouvait jadis… une porte vers l'au-delà. Au Royaume, on soigne, on est soigné, on nait, on vit et on meurt. Parfois, on n'en sort jamais, réduit à l'état de spectre errant parmi les blocs opératoires.
Satire hilarante et gore
Diffusée en 1994, la série "Riget" mélange satire hilarante, angoisse claustrophobique et scènes gore. Un vrai bonheur pour les amateurs. C'est "Urgences" chez les zombies! La série qui a préfiguré le triomphe des fictions venues du Nord a connu deux saisons et huit épisodes. Oscar Gomez Mata a retenu la première saison. L'histoire est suffisamment complexe ainsi pour ne pas rajouter le pandémonium satanique de la saison 2.
Que trouve-t-on dans ce Royaume danois dont on sait depuis Shakespeare qu'il a "quelque chose de pourri": des médecins assez fêlés pour se faire transplanter des foies malades afin de mieux les étudier, des internes qui trafiquent fournitures et médicaments, un chirurgien suédois dont l'insupportable arrogance masque une incompétence abyssale, une vieille dame hypocondriaque et médium, une loge maçonnique, une fillette morte il y a un siècle, une infirmière enceinte d'un démon, des opérations chirurgicales qui tournent mal, des adeptes du vaudou, des handicapés qui prédisent l’avenir… bref, un sacré bazar et un magnifique terrain de jeux pour la troupe de comédiens.
Une pièce qui brouille les codes
"Le Royaume" façon Oscar Gomez Mata est d'abord un divertissement et une formidable machine à jouer où la liberté est le maître mot du plateau. Parfois, les comédiens ne jouent plus leur personnage de professeur ou de stagiaire. Ils prennent le public à partie en tant que comédiens engagés à La Comédie pour jouer – je cite – "un pitoyable spectacle danois gauchiste et avant-gardiste des années 70", un clin d'œil à un troisième film culte de Lars Von Trier nommé "Les Idiots".
Ce brouillage des codes du théâtre est une des signatures d'Oscar Gomez Mata, metteur en scène actif en Suisse romande ainsi qu'en France et en Espagne avec des créations aussi drôles que pataphysiques. Mata apprécie les jeux de chat et de souris entre réel et fiction. Dans son "Royaume", il faut certes parfois s'accrocher pour suivre le fil rouge sang du récit. C'est un festival de piques et de répliques. On ne sait pas toujours si on est encore à l'hôpital ou au théâtre, au Danemark ou en Suisse.
En seconde partie un splendide jeu de miroir symbolise ce labyrinthe où se perdent les personnages de l'hôpital hanté. Au final, ce "Royaume" théâtral fait avant tout rire plutôt qu'effrayer. Et le plaisir de jeu des comédiens est une maladie contagieuse des plus réjouissante.
Thierry Sartoretti/ld
>> "Le Royaume" en tournée: Genève, La Comédie, jusqu'au 6 février. Lausanne, Vidy, du 5 au 9 mars. La Chaux-de-Fonds, TPR, du 11 au 13 avril.
>> La troupe d'Oscar Gomez Mata rejoue par ailleurs sa précédente pièce signée Lars Von Trier, "Le Direktor", La Comédie, Genève, du 8 au 15 février.