Des escaliers en bois plutôt casse-pattes. Des panneaux rendent une impression d’exiguïté. Sur la scène du Théâtre des Osses, ils sont trois: Anne, Margot et Peter. Les trois jeunes du groupe, respectivement 13, 16 et 15 ans, au moment de leur entrée dans l’annexe: 65 mètres carrés sur deux étages planqués au-dessus d’un entrepôt au cœur d’Amsterdam.
Nous sommes à l’été 1942. Les autres, les cinq adultes, on va seulement les entendre. Ils parlent, râlent, se disputent, espèrent, désespèrent, écoutent en sourdine de la musique ou les informations de la radio… on ne les voit jamais.
Anne, Margot et Peter
La mise en scène de Geneviève Pasquier et Nicolas Rossier se concentre exclusivement sur les adolescents. Sur leur perception du monde extérieur et de ce monde intérieur confiné qu’ils n’ont en aucun cas le droit de quitter. Dehors, c’est la mort assurée. Raflé par les nazis allemands ou leurs supplétifs hollandais.
A regarder et écouter Judith Goudal, Laurie Comtesse et Yann Philipona, on y croit. Ils sont Anne, Margot et Peter, dans leurs emportements, leur jeunesse, leur fougue et leurs désirs.
L’histoire d’Anne Frank a beau être celle d’un emprisonnement forcé à l’issue fatale, c’est aussi le carnet intime d’une adolescente dotée d’un fort caractère à jamais vivante par la grâce de la littérature. Elle écrit tout ce qui lui passe par la tête, Anne. Y compris sur l’apparition de ses règles, la détestation de sa mère ou son étonnement devant ses sentiments nouveaux pour Peter qu’elle côtoie quotidiennement dans ce huis-clos cerné par la haine.
La pièce suit le fil de l’Histoire. Avec ses bonnes nouvelles (le débarquement allié) et ses mauvaises surprises (le bombardement d’Amsterdam). Les metteurs en scène ont bien sûr abondamment coupé dans les 300 pages et plus du journal d’Anne Frank en format poche. L’essentiel est là. Et la pièce "Le journal d’Anne Frank" tient sur une heure quarante.
Destiné avant tout à la jeunesse
Certains pourraient trouver cette durée longuette pour un spectacle destiné avant tout à la jeunesse (recommandé à partir de 13 ans). Mais il faut du temps pour mesurer la longueur de cette promiscuité, le courage et la fragilité de cette incarcération volontaire.
La pièce tourne dans toute la Suisse romande accompagnée d’une exposition itinérante notamment destinée aux écoles. D’un point de vue civique comme d’un point de vue théâtral, cette pièce est un must.
Thierry Sartoretti/aq
"Le Journal d'Anne Frank", Théâtre des Osses, Givisiez, jusqu'au 10 février, puis en tournée romande
Un journal intime devenu best-seller
L’histoire est tristement connue. Rescapé du camp d’extermination d’Auschwitz, Otto est le seul survivant de sa famille. Sa femme Edith y est morte de malnutrition et de maladie. Ses deux filles, Margot et Anne n’ont pas survécu aux marches de la mort qui les ont conduites au camp de Bergen-Belsen où elles sont décédées du typhus en 1945. Les autres Juifs cachés dans le petit appartement secret d’Amsterdam ont également été tués.
De retour à Amsterdam dans son ancienne entreprise, Otto Frank se fait remettre un journal récupéré par une ancienne employée hollandaise: le journal d’Anne Frank. Otto Frank rejoint sa sœur qui avait émigré à Bâle avant les persécutions contre les Juifs. Installé à Birsfelden, il fait publier le journal en 1947 après l’avoir expurgé des passages jugés trop critiques envers la famille d’Anne ou trop licencieux pour être révélés au public. L’idée est alors de livrer un témoignage des persécutions qu’ont subies les Juifs à travers le regard d’une adolescente. "Le journal d’Anne Frank" devient un best-seller mondial.
Durant son séjour dans sa cachette d’Amsterdam, Anne Frank avait elle-même procédé à des coupes et des réécritures de son propre journal, rêvant de le publier à l’issue de la Libération. Elle se rêvait en effet journaliste ou auteure et la famille Frank avait entendu en 1944 sur la radio qu’ils écoutaient clandestinement, un appel de gouvernement hollandais en exil à Londres à faire œuvre de mémoire en conservant notamment les journaux intimes et autres carnets de cette période d’occupation allemande.
Au décès d’Otto Frank en 1980, la fondation Anne Frank, sise à Bâle, mandate l’auteure allemande, et traductrice du journal, Mirjam Pressler, pour une nouvelle version "complète" du journal en rajoutant les passages supprimés par Otto Frank. En 2017, une nouvelle version "intégrale" à été publiée sous la conduite de Mirjam Pressler en intégrant des réflexions d’Anne Frank plus intimes et sensuelles. Grande spécialiste autorisée du "Journal d’Anne Frank", Mirjam Pressler est décédée ce mois de janvier 2019.
Publié à l’OSL (œuvre suisse des lectures pour la jeunesse), le fascicule "Anne Frank" de Mirjam Pressler résume parfaitement cette histoire. Il est recommandé dès 11 ans.
L’annexe, cachette de tous les espoirs
L’annexe, c’est un lieu secret. Comme un petit appartement sur deux étages, situé côté cour d’une ancienne maison d’Amsterdam. Sous l’annexe, il y a les bureaux et entrepôts de la société Opekta, épices et gélatine pour confitures. L’annexe dispose de fenêtres, mais les vitres sont constamment fermées et les rideaux tirés. Pas question qu’on y devine la présence de quiconque. C’est là, au 263 Prinsengracht, que se cachent Anne Frank, sa sœur Margot, son père Otto, sa mère Edith, plus le couple Van Pels (nommés Van Daan par Anne) et leur fils Peter, puis le dentiste Pfeffer.
Mis dans le secret, quelques associés d’Otto Frank, le désormais ex-directeur d’Opekta, apportent de la nourriture à ces prisonniers volontaires. Dans tout Amsterdam, les nazis chassent et déportent les juifs. Les citoyens qui aideraient des juifs sont également passibles de déportation en camps de la mort ou d’exécution immédiate. La cachette de l’annexe tient du 6 juillet 1942 au 4 août 1944, date de sa découverte par la Gestapo allemande.
Les historiens se perdent encore en conjecture au sujet de l’arrestation d’Anne Frank et de sa famille. Dénonciation? On n'a trouvé aucune trace administrative d’une quelconque annonce aux Allemands. Hasard d’une perquisition de routine? La Gestapo enquêtait sur un trafic de cartes de rationnement. Aujourd’hui l’annexe fait partie de la Maison d'Anne Frank, l’un des musées les plus visités d’Amsterdam.