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"La méthode Grönholm" ou le monde impitoyable de l’entreprise

Une scène du spectacle "La Méthode Grönholm". [theatrebennobesson.ch - Guillaume Perret]
Théâtre: La Méthode Grönholm / Vertigo / 4 min. / le 18 février 2019
Le metteur en scène Julien Schmutz revient avec la pièce du Catalan Jordi Galcerán, en tournée romande, une comédie noire sur l'univers pervers du monde du travail. Jusqu’où irez-vous pour obtenir ce poste de rêve?

Ils débarquent à quatre pour leur second entretien d’embauche. Une mauvaise surprise. Normalement, une telle conversation a lieu dans la discrétion d’un tête-à-tête individuel avec vos futurs éventuels employeurs. Or là, tous les candidats sont assis en parallèle sur quatre fauteuils face à une table basse et une tablette électronique qui leur transmet des instructions.

Débute alors un jeu de situation parfois cruel et prompt à développer tension et paranoïa: "Parmi vous, se trouve une personne qui fait en réalité partie de l’entreprise. Vous avez dix minutes pour la découvrir!" Ce n’est plus un entretien d’embauche, mais un escape game! À cette différence près: celui ou celle qui sort est éliminé. Bye bye le poste de cadre supérieur dans la multinationale suédoise Dekia!

La vente, c'est un combat

Cruel, le jeu semble valoir la chandelle, au vu du salaire promis. Même si le candidat numéro 1, tendu et vindicatif, déclare que "ça lui pète les couilles!". La vente, c’est un combat. Dès lors il n’y a plus qu’à se battre et écraser l’adversaire en supposant que cette joute de cols blancs est filmée et enregistrée en direct par les responsables de l’entreprise qui a développé pour sa politique de recrutement cette "méthode Grönholm" pour le moins singulière.

Nouvelle question tirée par le candidat 4 qui doit raconter un épisode peu reluisant de sa vie: "Sachant que j’ai souffert d’une dépression suite à mon divorce et que mes performances au sein de mon entreprise ont baissé, décidez-vous de me donner une seconde chance ou vous me virez?"

Une pièce à forte tension

Sur scène, on en vient rapidement aux mains et aux noms d’oiseaux… Avec dans le rôle des quatre candidats les très convaincants comédiens Amélie Chérubin-Soulières, Michel Lavoie, Diego Todeschini et Frédéric Landenberg. Soit une femme droite dans ses talons, un insupportable bavard avachi, un improbable macho pommadé et un teigneux au vocabulaire de petite frappe. La satire est parfois très appuyée, mais la machine à suspense fonctionne à plein régime façon huis clos policier.

Le metteur en scène fribourgeois Julien Schmutz affectionne ce type de pièce à forte tension et action en temps réel lui qui a récemment monté "Douze hommes en colère", formidable plongée dans jury de procès pour meurtre. Le récit fonctionne à coup de rebondissements, d’humour et nul doute que les premières représentations auront permis d’aiguiser plus encore cette pièce portée par une musique délicieusement angoissante.

Entreprise et théâtre

Le théâtre adore le monde de l’entreprise et l’entreprise le lui rend bien. Côté business, on engage parfois des comédiens pour animer des jeux de rôles entre cadres d’un même département. Cela permet d’aplanir les conflits, de resserrer les liens de l’équipe et plus pernicieusement de désigner les leaders et les employés dont il faudra se séparer plus tard.

Côté théâtre, nombre d’auteurs se délectent de ces cadres impitoyables qui s’effondrent derrière leur ordinateur une fois rentrés chez eux. L’Allemand Falk Richter, les Anglais Mike Barlett et Dennis Kelly ou encore la Roumaine Alexandra Badea mordent avec une ironie cinglante ce monde où la cravate se transforme vite en fouet ou corde de pendu.

Avec la "Méthode Grönholm", les ressorts dramatiques sont le soupçon et le mensonge. Toute compétition n’a-t-elle pas sa part de ruse et de bottes secrètes ?

Thierry Sartoretti/la

"La Méthode Grönholm" en tournée. Sion, Théâtre de Valère, le 19 février. Yverdon-les-Bains, Théâtre Benno Besson, les 21 et 22 février. À Bienne, Théâtre Nebia, le 26 février.

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