Une forêt. Elle n’est pas plantée d’arbres ou de ronces, mais de panneaux vitrés. Tout y est sombre, nocturne, labyrinthique. Les vitres deviennent parfois miroirs ou trompe-l’œil. Voilà pour le décor, place aux personnages.
Ils sont quatre. Deux filles, deux garçons. De la jeunesse et de belles figures. Hélène et Hermia côté féminin. Lysandre et Démétrius côté masculin. Ils pourraient être en couple, sauf qu’un philtre d’amour hasardeusement réparti sème la pagaille dans leurs désirs. Celui qui aimait n’aime plus. Celle qui était paria devient déesse de la sensualité. On y trouve une mystérieuse créature à tête d’âne. On n’y comprend pas grand-chose, c’est le grand n’importe quoi du je t’aime moi non plus. C’est du Shakespeare.
"Le Songe d'une nuit d'été" revisité
La pièce originale s’appelle "Le Songe d’une nuit d’été" ou "A Midsummer Night’s Dream" en VO. Chez le grand Will, la scène de la forêt n’y est qu’une péripétie. "Summer Break", visible actuellement au Théâtre du Loup, mis en scène par Natacha Koutchoumov s’inspire du Songe. Du moins en partie. La scène de la forêt est ici le cœur et l’essentiel du spectacle. Comme une sorte de jeu de rôles cruel entre amants qui ne savent plus à quel sein se vouer.
Ils sont quatre. Deux filles, deux garçons. De belles figures de jeunes comédiens. Ils sont venus auditionner pour les rôles du "Songe d’une nuit d’été". Il s’agit de déterminer qui sera Hermia, Hélène, Lysandre ou Démétrius.
Un exercice de style parfaitement maîtrisé
Ils et elles jouent des scènes, prennent des pauses, se prennent au jeu, se font maltraiter. Spectateur, on ne sait plus qui est qui. Nous voici face à Hermia, Hélène et ses garçons? Ou face aux excellent-e-s Charlotte Dumartheray, Géraldine Dupla, Arnaud Huguenin et Jérôme Denis? Personnages et acteurs se retrouvent comme des insectes englués sur un ruban de papier tue-mouche alors que rôde une araignée invisible.
Imaginés par la scénographe Sylvie Kleiber, les panneaux deviennent piège et la musique de David Scrufari emprunte toutes les dissonances propres aux thèmes de film d’horreur. "Summer Break", c’est le casting de l’épouvante ou l’illustration des affres intérieures des premiers amours.
On a quitté Shakespeare pour rejoindre le cinéaste David Lynch. Rire jaune et bile noire, mystère et inexpliqué, cette pièce tient de l’exercice de style parfaitement maîtrisé. Comment transformer un classique a priori plaisant en thriller fantastique. A expérimenter sans risque aucun depuis votre siège de spectateur.
Thierry Sartoretti/aq
"Summer Break", à Genève, Théâtre du Loup, jusqu’au 17 mars. A la Chaux-de-Fonds, TPR, du 20 au 24 mars. A Sierre, TLH, de 3 au 7 avril.