Trois femmes. Trois danseuses face à nous. Les jambes sont immobiles, le torse droit, la tête comme fichée sur les épaules. Raides et affirmées comme des i majuscules. Mais voici que leurs bras se mettent à bouger. Des métronomes? Des sémaphores? Plutôt des pendules ou des aiguilles de montre puisque ce spectacle se nomme "Chro-no-lo-gi-cal".
Toutefois, ce qui frappe le public, ce n’est pas ce mouvement mécanique, c’est le son. Il semble sortir de nulle part, flotter dans les airs, tourner dans la salle comme une nappe de brume. Les danseuses nous parlent. Elles chantent. Sans que leurs lèvres n’esquissent le moindre mouvement. Ruth Childs, Audrey Gaisan Doncel et Yasmine Hugonnet forment un trio de ventriloques.
Un spectacle déroutant
Dans le public, la tension est palpable. Il y a de la fascination devant l’étrangeté. De la gêne aussi, manifestée par quelques rires incontrôlés. "Chro-no-lo-gi-cal" déroute. Une phrase à prendre à la lettre. Ce spectacle quitte les chemins usuels de la danse pour nous emmener sur un terrain inédit.
Il y a de la poésie sonore et de la musique contemporaine dans cette manière de varier à l’infini un même motif sonore, de tisser un tapis de sons formés notamment par les syllabes du titre de ce spectacle. Alors, cette nouvelle création de la danseuse et chorégraphe Yasmine Hugonnet: spectacle de danse sonore ou concert de musique en mouvements? On ne tranche pas. La créature est hybride et c’est bien ainsi.
Le corps en mouvement
Depuis 2017 et son "Récital des postures", Yasmine Hugonnet mène entre la Suisse romande et Paris une carrière aussi singulière qu'internationale. Singulière car elle redonne à voir le corps et l’essence même du geste dans ces créations qui invitent la lenteur, la suspension du mouvement, la nudité et la parole.
Rien de provocant dans cette démarche pensée et vécue comme un retour aux fondamentaux des arts de la scène: la danse, c’est un corps en mouvement. Essayons, ensemble, de le regarder à nouveau, suggère la danseuse. Dans toute sa simplicité et son essence première. L’intérêt international est d’autant plus marqué que Yasmine Hugonnet peut aisément rejoindre des programmations de danse comme des festivals de mime, des manifestations d’art plastique et désormais des festivals de musique contemporaine.
Le son est vibration
La danse de Yasmine Hugonnet s'imprègne de philosophie, d’anatomie, de recherche spirituelle. Elle convoque les anciens, Lucrèce ou Dante. Ses propositions tiennent de l’expérience commune pour les interprètes comme pour les spectateurs. En y ajoutant la parole ventriloque, elle rappelle aussi que le son est vibration, mouvement et que la danse est affaire d’extérieur comme d’intérieur. Là, tout au fond du larynx des trois danseuses de "Chro-no-lo-gi-cal", des cordes vocales dansent un ronde à la gloire du temps qui passe.
Thierry Sartoretti/mh
Zoom Yasmine Hugonnet à Neuchâtel dans le cadre de la saison "Hiver de danses" de l’ADN.
Le 15 mai, extraits du spectacle "Se sentir vivant" au Musée d’art et d’histoire de Neuchâtel.
Le 20 mai, atelier public intitulé "Le Temps – le Vivant" au Musée d’art et d’histoire de Neuchâtel.
Le 22 mai, spectacle "Le Récital des postures" au Temple allemand de La Chaux-de-Fonds.
Le 28 mai, spectacle "Chro-no-lo-gi-cal" au TPR de la Chaux-de-Fonds.
"Chro-no-lo-gical" sera également à l’automne à l’affiche du TLH-Sierre et de l’ADC de Genève.