Tiago Rodrigues dirige un monument du patrimoine portugais. Vous ne pouvez pas manquer son architecture néo-classique: elle domine la place du Rossio, au cœur même de Lisbonne. Le Théâtre Nacional Dona Maria II a traversé tous les bouleversements du pays: la royauté, les balbutiements de la démocratie, la dictature, la révolution des Œillets, le retour de la démocratie, l'entrée du Portugal dans la Communauté européenne, le boom économique, la colonisation du centre-ville par les touristes…
Le Théâtre national, porteur de mémoire
"Avant que j'apprenne à le connaître, ce lieu me semblait très poussiéreux, ankylosé dans le passé et bien lourd avec toute sa structure administrative et technique plus sa troupe à demeure. Je faisais de mon côté un théâtre mobile, international, léger, avec juste un ordinateur et à peine deux personnes. Je me suis rendu compte que ma manière de fonctionner était finalement très capitaliste. Efficace, productive, elle pouvait disparaître d’un jour à l'autre sans laisser la moindre trace. A l'inverse, le Théâtre national était porteur d'une mémoire, d'une vie. Sa permanence avait une vraie valeur culturelle".
Le metteur en scène, dramaturge et comédien loue aujourd'hui cet ensemble où une jeune comédienne issue du Conservatoire "qui a joué à peine quarante soirs, partage expérience et plateau avec un comédien qui joue depuis 40 ans. Le théâtre, c'est de la transmission. D'une génération à une autre, des artistes au public, des textes du passé au présent…"
Des rencontres au coeur du théâtre de Rodrigues
Au centre du théâtre de Tiago Rodrigues, il y a aussi les gens, leur vie et des rencontres. Celle de Cristina Vidal, souffleuse du Théâtre national depuis 40 ans, femme de l'ombre que Tiago Rodrigues a mise en lumière dans le spectacle "Sopro". En portugais, comme en français, le souffle désigne aussi l'âme. Celle de Cristina Vidal valait bien un spectacle sur cette étincelle qui anime les comédiens et sur la mémoire qui parfois leur joue des tours.
En face du théâtre, de l'autre côté de la grande place, il y a aussi cette femme qui n'a jamais osé passer la porte de l'institution. Un demi-siècle à regarder cette façade comme on observe une montagne infranchissable. Le théâtre? Trop chic, trop intellectuel. C'est elle pourtant qui apparaît désormais sur les affiches du Théâtre national. Elle encore qui a présenté les spectacles de la nouvelle saison lisboète, fruit d'une action nommée "première fois". Laquelle est destinée à la population qui pense qu'elle ne peut pas faire partie du public d'un théâtre.
"By Heart", une ode à l'apprentissage
Aujourd'hui Tiago Rodrigues a posé sa valise à Lausanne-Vidy, avec sa troupe, pour trois pièces de son cru: "Antoine et Cléopâtre", "Sopro" et "By Heart".
Cette dernière est une ode à l'apprentissage. "Par cœur" est aussi une histoire humaine, une de plus. Celle de sa grand-mère. Patronne d'un bistrot de village, Madame Candida était une grande lectrice. Lorsqu'elle a su qu'elle perdrait prochainement la vue, elle a demandé à son petit-fils Tiago un livre, un seul, le dernier, qu'elle apprendrait par cœur… Ce furent les sonnets de William Shakespeare. Dans "By heart", 1h30 durant, une dizaine de personnes issues du public vont apprendre par cœur chacune et chacun un fragment de poème sous la conduite du comédien.
"Dans chaque théâtre où je joue, je suis chaque soir surpris que des gens qui ne se connaissent pas soient réunis là et partagent cette expérience collective et fragile que peut être un spectacle. Qui montera sur scène? Je ne le sais jamais à l'avance.
A l'heure où tout s'achète avec un clic depuis chez soi, à l'heure où vous connaissez exactement le goût d'un produit que vous achetez au supermarché, le théâtre continue d'exister et de faire bouger les gens hors de chez eux alors qu'il est le lieu même du risque et de l'incertitude".
Thierry Sartoretti/aq
Tiago Rodrigues à Vidy-Lausanne: "Sopro", du 15 au 17 mai, "By Heart", les 17 et 18 mai et "Antoine et Cléopâtre", les 18 et 19 mai.