En 1999, date de la dernière Fête des Vignerons, il voyageait en Iran. Il avait 21 ans, et l'objecteur de conscience tenait alors la manifestation veveysanne pour un événement à la fois "militariste, machiste et poussiéreux". Mais le Morgien est aussi fils de vignerons, très attaché à la terre et à la notion de transmission, lui qui a enseigné au gymnase pendant quatre ans.
La tradition ne doit pas être laissée à certains partis politiques parce que c'est elle, la tradition, qui relie les gens au-delà des siècles. Et c'est très beau.
Alors quand la Confrérie des Vignerons lui a proposé en 2014 d'être le co-librettiste, avec Stéphane Blok, de la cuvée 2019, il a accepté. C'était l'occasion de réconcilier son travail d'écrivain avec ses racines paysannes, et de donner à cette Célébration une certaine modernité. Son roman "Estive" (2007) qui raconte son expérience de berger en charge de moutons a certainement pesé dans la balance. Blaise Hofmann s'interrogeait déjà sur son lien avec le patrimoine, lui l'écrivain nomade, lauréat du prix Nicolas Bouvier en 2008.
Le voyage, ce n'est pas seulement aller vers l'ailleurs, c'est aussi un profond retour sur soi.
Pour honorer cette commande qui coïncidait avec un désir profond, Blaise Hofmann s'est beaucoup documenté sur les différentes éditions de cette Fête, née en 1797. Si Ramuz a été son phare - "il a su parler de sa région sans jamais tomber dans la vaudoiserie, être universel en célébrant le ici" - le texte qui l'a le plus inspiré est celui d'une femme, "Chantevin" de Renée Molliex.
Blaise Hoffman a fait sienne la définition de Henri Debluë, le librettiste de l'édition 1977: "Un mélange d'oratorio et de carnaval". C'est cette fusion entre la mystique de la terre et son travail concret, physique, artisanal, qui semble avoir inspiré le Morgien qui, en 2017, a repris la vigne de son père et peut désormais offrir à ses amis sa première cuvée.
En même temps que j'écrivais, j'apprenais le métier de vigneron.
Le prix d'un week-end à Ibiza
Tenu au secret pour que la surprise soit totale, l'émission Caractère sur Espace 2 livre néanmoins deux courts extraits de maquettes musicales signées Jérôme Berney et Valentin Villard; une musique qui accroche à la première écoute. A deux mois de l'ouverture - le 18 juillet - Blaise Hoffman sort également trois ouvrages sur l'événement: un recueil des poèmes qui seront chantés lors de la Fête, un livret co-signé avec Stéphane Blok, sagement intitulé "Fête des Vignerons 2019"; un journal de bord très personnel qui raconte les coulisses de cette préparation qui entraîne avec elle plus de 5'000 figurants ("La Fête") et un ouvrage pour la jeunesse ("Jour de Fête") qui met en scène 24 heures de la vie d'une petite figurante de 11 ans et de son frère, étudiant en sociologie, qui s'étonne que le prix du billet soit aussi cher qu'un week-end à Ibiza avant de conclure, ébloui: "Jamais vu une si grande teuf dans un si petit bled!".
Le prix justement. La modestie tenace du travail de la vigne est-elle compatible avec la démesure du spectacle annoncé: 5'500 figurants, 20'000 places assises, 700 tonnes de charpentes pour la construction des arènes, 20 représentations, un million de spectateurs, le tout pour un budget total de 99 millions de francs? "Il faut préciser que c'est un événement entièrement financé par la billetterie, donc autosuffisant. D'ailleurs, il s'agit moins d'un spectacle que d'une célébration, le couronnement des tâcherons vignerons. Ce n'est pas le Cirque du soleil: rien ne s'exporte", précise Blaise Hofmann qui pense néanmoins que la prochaine édition ira vers la décroissance puisque la Fête est un miroir de la société.
Des rimes en "cide", comme herbicide
Alors qu'est-ce qui a changé par rapport à 1999? "La place des femmes, y compris dans la Confrérie qui s'est ouverte en 2008, celle d'une viticulture respectueuse de l'environnement et une manière de célébrer le travail du vigneron plutôt que l'ivresse du vin". On peut encore ajouter, la disparition des dieux grecs, dont Bacchus, Cérès et Palès. "Les dieux grecs ont été intégrés à la Fête par une certaine bourgeoisie qui voulait donner un peu de noblesse à la vigne. Aujourd'hui , il n'a plus besoin d'être valorisé, il est noble en soi.
Quant aux déesses grecques, elles servaient surtout à saluer la foule en agitant les bras. Elles avaient un rôle d'essuie-glace.
Blaise Hofmann dit encore avoir joui d'une très grande liberté même si la Confrérie des Vignerons avait le dernier mot sur les choix artistiques. Pas même un peu de censure? "A peine, vraiment mineure. Par exemple, la Confrérie n'aimait pas le mot "pesticide". On l'a remplacé par herbicide, ovicide et larvicide. Pour l'auteur que je suis, la rime riche était sauve!".
Propos recueillis par Anik Schuin
Réalisation web: Marie-Claude Martin