Pari réussi pour les deux Vincent sous un chapiteau delémontain très rempli. Ce n'était pourtant pas gagné d'avance. Le cirque est un monde à part et surtout un public très particulier. Les deux n'ont rien à voir avec une salle de théâtre ou un talk-show télévisé.
D'abord, vos numéros d'amuseurs s'intercalent dans un programme qui offre déjà son lot de frissons et d'émotions. Ensuite les spectateurs viennent d’abord au Knie, pas chez les deux Vincent. Enfin, il faut, dans cette acoustique très singulière de bâche et de gradins faire rire un public de tout âge disposé en cercle. Pas question de parler trop vite, pas question non plus de tourner le dos à quiconque. Et attention à ne pas se trouver sur le chemin d'un cheval en entrant sur la piste! Alors, ces Kucholl&Veillon? Parole de spectatrice jurassienne croisée à la sortie du spectacle: "Pour parler comme vous, les Vincent: on s'est bien fendu la gueule".
Le mariage de l'ironie et du cirque
Le nombre de décibels est un bon indice de popularité. Les deux Vincent ont un public de fans: dès qu'ils débarquent en garçons de piste, c'est l'ovation. Ils interviennent cinq fois dans ce show. Ils ressortent quelques vieilles connaissances, personnages sortis de leurs premières chroniques radio de Couleur 3 et repris avec succès sur scène ou dans leur émission "120 Minutes" sur RTS Un: le Suisse allemand rigide et cynique, le policier local et tatillon (adapté à chaque canton), le looser en détox et dérapage contrôlé et bien sûr le plus sympathique, le plus simplet, Gilles Surchat, né Jurassien bernois devenu Jurassien tout court, une "affaire" à lui tout seul.
Sous le chapiteau du Knie, pas question d'interpréter le duo présentateur en chemise blanche versus invités déguisés, comme à la télé. Les deux Vincent utilisent le travestissement et jouent des personnages. Ils réussissent à marier leur ironie avec l'univers d'un cirque. Le soir de première, il y avait encore quelques réglages à effectuer côté tempo et choix des piques. Trouver aussi ses marques dans les adresses au public et leur interprétation de certains personnages. Et tout sera "tip top", comme dirait Inäbnit, ce personnage pète-sec dont les blagues n’épargnent ni les spectateurs ni les Knie à la plus grande joie du public.
Comment fêter dignement un centenaire du Knie?
Drôle d'année, ce 2019. Le cirque va bien ou il est en pleine crise? D'un côté vous avez le Knie qui souffle les bougies et de l'autre le Nock qui range définitivement le chapiteau. Sans parler de la multinationale canadienne du Soleil qui pose désormais ses chapiteaux entre Zurich et Genève pour de longues semaines de représentations avec un show d’acrobaties façon Las Vegas.
Parlons plutôt de mutation. Le cirque évolue, résiste aux pressions alors qu'il est l'art de la scène le plus complexe à produire avec l'opéra. Plus complexe même que l'opéra, puisqu'au Knie, il faut démonter et reconstruire la salle plusieurs fois par semaine sans interrompre le spectacle!
2019 est une grande cuvée. Avec une touche plus poétique, plus tendre qu'à l'habitude. Le cirque ose la nostalgie avec des projections visuelles émouvantes de son passé. Et ça lui sied. Le niveau des acrobaties est franchement époustouflant avec de sacrés risques dans un style où les artistes de l'Est se taillent la part du lion. Remarquable aussi, un gros investissement côté technique et artistique: chapiteau, lumières, musique rythme du spectacle, on passe la vitesse supérieure. Fini les piliers qui gâchent la vue. Place à un show, rythmé par une excellente chanteuse soul, qui a une note canadienne: des créateurs du Cirque du Soleil participent en effet à cette édition du centenaire côté chorégraphie, compositions et éclairages.
Du Soleil chez Knie
En 1992, Knie avait été le premier et le dernier cirque à inviter la troupe du Soleil. A l'époque, les Québécois étaient des quasi-inconnus en Europe. Le lien de respect mutuel a perduré. Aujourd'hui, Knie évolue, tout en célébrant ses traditions: les chevaux, bien sûr. Mais aussi et surtout son esprit de famille, voire de dynastie. Et puis, il y a ce truc dans le cirque que l'on ne verra jamais dans un festival pop ou dans une salle d'opéra: avant la représentation Freddy Knie JR, le big boss historique, aide le personnel des buvettes pour les commandes en français. Et après le spectacle, la chanteuse troque son habit de lumière pour un sobre costume de serveuse. Knie reste encore et toujours un artisanat.
Thierry Sartoretti/ld
Le Knie joue ce soir encore à Delémont. Il sera du 25 au 30 à Neuchâtel. Et dès 23 août à Genève et dans le reste de la Suisse romande.
Des animaux, mais quels animaux?
Dilemme en ces temps où la place de l'animal dans notre société humaine est débattue. Peut-on continuer à produire des spectacles avec des animaux? Et quels animaux choisir? Les chevaux font partie de l'ADN familial des Knie. Pas question de les abandonner au pré, mais désormais des brochures explicatives détaillées racontent la vie des chevaux de Knie dans les détails.
Knie a dit adieu à ses éléphants (désormais sédentaires à Rapperswil). Le cirque annonce la fin de son show d'otaries dans son zoo zurichois. Restent quelques chameaux, lamas, poneys et chèvres pour peupler le petit zoo itinérant qui accompagne la tournée. Quant à la branche Franco de la famille Knie, celle qui a "perdu" son numéro d'éléphants, elle revient cette année avec un spectaculaire numéro de voltige de…perroquets. L'an passé c'était des drones. Cette année, ce sont des cavaliers humains qui cèdent leur selle à d'étranges créatures. Le Knie reste prudent avec l’intelligence artificielle et c'est tant mieux pour les arts vivants.