Elle vit dans la rue. Jeune et pourtant déjà sans âge, elle s’adresse aux passants, crache ses rêves et sa rage. Ses rêves: sortir avec Sandrine, la vendeuse en cosmétique et lui enseigner la lutte des classes entre deux instants d’amour torride et finalement vache. C’est du théâtre. C’est le monologue "Perdre son sac", dont la mise en scène est signée Denis Maillefer.
Ce texte est de l’un des plus grands auteurs français du théâtre d'aujourd’hui, Pascal Rambert. Spécialement écrit pour une jeune comédienne romande: Lola Giouse. Un monologue qui secoue le public du Festival de la Bâtie jusqu’au 7 septembre à la Comédie de Genève.
Lola Giouse impressionne, magnétique, fauve, incandescente ou misérable à faire peur. Elle arpente le sol, saisit un balai comme une hallebarde de guerrière des rues, Lola Giouse. Elle menace, elle gueule, elle chiale. Elle a les cheveux courts, une tenue noire qui a dû être sportive et du matériel pour laver les vitres. Lola - le personnage - a brillement passé son BAC. Mais là, elle est au fond du caniveau… et elle n’en peut plus.
Un texte politique, une mise en scène esthétisante
La rage, c’est contagieux. Lorsque le théâtre aborde le champ politique, tout ce qu’il dit, tout ce qu’il montre le devient aussi: politique. Il y a le texte, le jeu, le costume. Il y aussi l’éclairage, la scénographie, le décor, la musique, la mise en scène. Tout aussi politique. Ainsi, sur la scène de la Comédie, Lola Giouse est enfermée dans une pièce transparente. Comme une cage de verre. Sans contact direct avec le public.
On peut y voir la métaphore de l’enfermement. Lola tourne en rond dans ses problèmes ou piétine dans sa tentative mal barrée de lutte des classes. Et puis, cette vitre, c’est bien sûr une vitrine: la jeune femme vivote en lavant les devantures de magasins. Il y a autre chose: un truc qui peut faire hérisser les poils. Ce théâtre esthétise, il exhibe… une pauvre. Enfin… un personnage de pauvre.
Une pauvreté de vitrine
Cher public, frissonnez dans vos fauteuils, heureusement vous ne risquez rien. Voici la dernière exposition: une Cosette post grunge, présentée dans une belle vitrine design comme les animaux coupés en deux du plasticien anglais Damien Hirst.
Elle peut gueuler tout ce qu’elle veut, la Cosette. Elle peut saisir son balais lave-vitre, menacer de nous le planter dans le ventre, elle peut subir la flotte avec un petit dispositif de douche, très joli le dispositif… Nous, on reste au sec, bien à distance. Même sa voix, sa colère, sort filtrée par des micros, tamisée sans trop de décibels.
"Perdre son sac" secoue, sidère par son verbe et par sa charge quand bien même à la fin on n’est pas sûr d’avoir tout compris dans ce flot parfois confus d’images et d’imprécation.
Ainsi présenté, "Perdre son sac" ne bouscule aucun ordre établi. La pauvrette reste bien de son côté. Et nous du nôtre. Le cul sur notre siège dans un théâtre entre gens de bon aloi. "Perdre son sac" sonne la révolte. Et cette révolte est déjà sagement confinée dans une vitrine de musée. Dommage.
Thierry Sartoretti/aq
"Perdre son sac", Comédie de Genève. A voir jusqu'au 7 septembre 2019