Publié

"Para", théâtre des opérations en Somalie

Bruno Vanden Broecke dans le spectacle "Para" de Raven Rüell. [comedie.ch - Thomas Dhanens]
Théâtre: "Para", théâtre d'opération en Somalie / Vertigo / 5 min. / le 8 octobre 2019
Une pièce-conférence raconte une intervention militaire humanitaire. Cela s'est passé en Somalie entre 1992 et 1993. Un spectacle belge en solo aussi troublant que puissant à découvrir à la Comédie de Genève du 10 au 14 octobre.

"Bonsoir, je m'appelle Nico Staelens (…) ça fait presque vingt-cinq ans, maintenant, mais moi ça m'a plus lâché. C'est normal, j'y étais." Ainsi débute un récit de vie. Celle du para-commando belge Nico Staelens envoyé avec son détachement en Somalie entre 1992 et 1993. La Belgique participe alors à mission de pacification sous l'égide de l'ONU. Là-bas, dans la Corne d'Afrique, c'est la guerre et la famine.

"Je suis le seul qui donne encore des conférences sur ça, trois mille hommes, des types de mon âge et ils sont encore tout ici, enfin, moins les cinq qui sont morts, bien sûr, et les quelques-uns qui se sont suicidés après coup." Suicidés? La mission de pacification a tourné au fiasco, connu des dérapages et de graves violations des droits de l'homme, provoqué un scandale en Belgique où les para-commandos ne sont pas revenus en héros de l'humanitaire. "Les bonnes intentions, ma poule, oui, dans la pratique, c'est parfois dégueulasse."

Témoignages d'anciens paras

Nico Staelens existe… et n'existe pas. Il est un personnage inventé, incarné sur scène par le formidable acteur flamand Bruno Vanden Broecke et son allure d'ancien baroudeur qui n'a pas ravalé sa fierté avec la retraite militaire. Nico Staelens est composé de dizaines de témoignages d'anciens paras de cette mission somalienne. Des voix rassemblées par l'auteur David Van Reybrouck afin de composer au plus près de la réalité ce personnage de conférencier qui tient en haleine son public en décrivant parfois avec humour, parfois dans la colère, des situations ubuesques ou ignobles de cette interventions: "Wacko Squad Cleaning Services, il a mis. Agence de nettoyage azimuté. Ah ah. Quels mecs, quand même. Alors on noue un châle autour du crâne qu'on a piqué dans le cimetière et on l'arrime à l'arrière sur notre châssis. Bastos lui coince une belle cigarette blanche entre ses chicots pourris. Voilà, maintenant, on a une mascotte, pour la route."

"Para", le texte signé David Van Reybrouck, ne juge pas, il raconte. A nous de nous tracer une opinion dans ce bourbier post-colonial où on cherche son chemin entre empathie pour les propos du sergent Nico Staelens et répulsion devant certain de ses actes.

Théâtre-documentaire

Le public romand avait déjà pu apprécier une précédente production théâtrale du trio Bruno Vanden Broecke (l'acteur), David Van Reybrouck (l'auteur) et Raven Rüell (le metteur en scène) qui n'a de cesse de questionner les liens entre la Belgique et son passé colonial. Il y a eu "Mission", récit d'un prêtre missionnaire blanc au Congo. Il y a eu "L'âme des termites", récit d'une expédition scientifique en Afrique.

Qu'apporte ce théâtre dit documentaire, basé sur des témoignages et des faits réels, par rapport à un film-documentaire où l'on verrait des vrais anciens paras, des paysages somaliens et peut-être des témoignages venus de la population locale? "C'est du live. Vous vous confrontez avec une personne en chair et en os, là-devant vous", explique Raven Rüell. Et la question de votre choix personnel se pose immédiatement: ce personnage vous le rejetez? Ou vous entrez en empathie avec lui? Une question complexe à notre époque prompte à porter des jugements très rapides et à l'emporte-pièce.

Thierry Sartoretti/ld

"Para" est paru chez Actes Sud-Papier.

Publié