Sur la scène, seul un grand drap blanc habille. Elle est moureuse, la vieille dame assise, elle n'en a plus pour très longtemps. Elle le sait. La maladie la paralyse progressivement. C'est l'heure des bilans, des héritages à distribuer, des souvenirs à trier. C'est l'heure de ressasser l'Italie de Mussolini d'où elle vient, la guerre, les frères perdus, son mari rejeté car allemand et leurs enfants, paria pour les mêmes raisons. Elle ressasse tout cela devant l'un de ses fils. Le plus patient, sans doute. Car elle n'est pas du genre facile, cette mère.
Cette intrigue aussi excitante qu'une visite à l'EMS un jour de pluie se déroule toutefois dans un tissu de mots d'une délicatesse et d'un humour irrésistibles. Oui, on rit franchement en écoutant cette mère d'une mauvaise foi sans limite et son fils, comédien en mal de reconnaissance. On rit, entre deux larmes qu'on écrase sur sa joue.
Une pièce jouée dans un lieu discret
Gianni Schneider, metteur en scène du spectacle, a une année 2020 riche d'un grand projet. Il a hâte, mais en attendant, que faire? Il en discute avec un ami, auquel il se confie aussi sur les visites qu'il rend depuis des mois à sa mère malade. L'ami l'écoute. Puis écrit. Cet ami, c'est le dramaturge René Zahnd.
La beauté de "La Moureuse" doit beaucoup à cette origine, simple et sincère comme une longue amitié. Deux comédiens s'en mêlent ensuite: Séverine Bujard et Darius Katari. Elle donne à cette mère toutes les nuances qui savent la rendre terriblement attachante malgré tout. Il donne à ce fils juste ce qu'il faut de complexité pour ne pas en faire la faible proie d'un amour maladroit.
"La Moureuse" est ainsi née très vite, comme une évidence, il y a quelques mois seulement, alors que les programmations des théâtres étaient complètes. Seul le discret et méconnu Théâtre Vide-Poche à Lausanne a pu faire une place à la pièce. Heureusement pour "La Moureuse", c'est souvent dans les petits théâtres que les responsables de plus grandes salles dénichent leurs perles.
Anne-Laure Gannac/ld
"La Moureuse", de Gianni Schneider, Théâtre Vide-Poche, Lausanne, jusqu'au 19 octobre.