Shakespeare, ce sont des intrigues implacables, de l’humour, du sexe dru, de la folie, des trahisons et des meurtres. Bref, les séries TV avant les séries TV, c’était lui, le grand William. En plus, ces plus fameuses pièces ont un côté couteau suisse. C’est inusable et on peut tout faire avec. La preuve avec ces deux classiques de Shakespeare, deux tubes du maître, à l’affiche cette semaine en Suisse romande.
A ma gauche, Othello, guerrier valeureux, mais mari jaloux facilement manipulable. Poussé par l’intriguant Iago, Othello assassine son épouse Desdémone qui ne lui avait rien fait. Autrefois, on disait meurtre passionnel. Aujourd’hui, on sait que c’est un féminicide. Othello se suicide à côté de son épouse et Iago paiera son forfait, lui aussi.
A ma droite, Hamlet, fils de roi du Danemark. Il mériterait un suivi psy, mais en 1609, on consultait encore peu. Son père décède et sa mère se remarie illico avec son beau-frère. Et voici qu’apparait le fantôme de papa qui révèle à Hamlet son assassinat. Beau-papa tout neuf est le coupable! Il y a de quoi avoir une grosse colère et devenir zinzin. Hamlet devient une tornade qui balaie tout sur son passage, y compris sa fiancée Ophélie qui n’en pouvait rien, elle non plus. Là aussi tout le monde meurt et il ne fait pas bon être femme dans une pièce de Shakespeare.
"Othello" dans le monde de la boxe
Mis en scène par Sandro De Feo (qui incarne également deux rôles), "Othello" a été rebaptisé "I’m not what I am", un nouveau titre un peu crypté issu d’une réplique du traître. La tragédie initialement située à Venise est transposée dans le monde de la boxe. Bonne idée! Rocky Othello, alias le Maure, alias le Général, porte les shorts et la tête pleine de bravoure de l’excellent comédien Alain Borek, au cou duquel s’accroche la belle et convaincante Desdémone, alias Marie Ripoll, qui joue aussi un rôle de coach sportif. La cour du guerrier porte la tenue de son staff sportif et le décor est un vestiaire, avec ses bancs et son linge humide.
En bord de scène, deux musiciens electro-pop tentent les hymnes pour salle de boxe. Verdict: excellent début, mais la mise en scène ne pousse pas assez loin les métaphores avec le monde de la boxe et les comédiens restent bien sagement dans les clous du texte original. Dommage: cet "Othello" aurait pu briller sur un ring et finir par K-O ou s’inspirer d’un fait divers du milieu pugiliste: le boxeur vénézuélien Edwin Valero, suicidé en 2010… après avoir tué son épouse.
Un "Hamlet" délicieusement canaille
Mis en scène par Thibault Perrenoud (il joue aussi Hamlet avec un petit air de Jack Nicholson dans "Shining") et le collectif Kobal’t, cet "Hamlet" garde son titre original, mais supprime le rapport traditionnel scène de comédiens vs gradins de spectateurs. Le théâtre est partiellement vidé et nous voici au milieu d’une grande salle de banquet parmi les protagonistes du drame. Proximité et frisson garantis quand le héros attrape un spectateur et le fait passer pour le crâne bien mort de l’ancien bouffon de papa le roi.
Ici le texte est rafraîchi et les comédiens se permettent apartés et commentaires, ce qui d’ailleurs faisait autrefois partie du jeu au temps du théâtre élisabéthain. Hoquets de dégoût dans la salle remplie de collégiens lorsque Hamlet roule un patin à son ami Horatio ou qu’il envisage de déguster son propre caca dans une scène qui rappelle "Les 120 journées de Sodome" du cinéaste Pier Paolo Pasolini.
Au final, cette version s’avère délicieusement canaille, potache, grand guignolesque, même si tant d’énergie et d’engueulades sur le plateau émoussent parfois la force de ce roboratif "Hamlet".
Thierry Sartoretti/aq
"I’m not what I am", jusqu’au 7 décembre à la Grange de Dorigny. Puis à Genève, Théâtre du Loup du 11 au 18 décembre
"Hamlet", jusqu’au 7 décembre au Théâtre du Grütli à Genève.