Posé au milieu de la scène, bien éclairé par des lumières chaudes: un rectangle de sable sur lequel vole un nuage de poussière. Impression immédiate de plaine aride, de désert et de chaleur. Apparaissent six gars. Des beaux, des baraqués, vêtus de pagnes et de capuche.
Les six sont sculptés comme des héros antiques. Les musculatures des circassiens ont toujours quelque chose de mythique, un parfum d'Illiade ou de péplum hollywoodien. Ces acrobates ukrainiens affichent des moues contrariées. Il y a ce sable et surtout les charmes d'une femme, acrobate elle-aussi au physique de déesse de science-fiction. Il va falloir se mesurer et vaincre. Sable, lumières cachées sous le plancher et miroir permettent de très jolis jeux visuels avec les mouvements des acrobates.
La musique, originale, envoûtante, vole de l'Orient à l'Occident, tire parfois sur la corde d'un violon qui fleure bon l'Europe centrale et un romantisme tsigane assumé. Bienvenue dans le monde de "My Land", où l'on préfère la lenteur à l'agitation, la grâce à la fulgurance. Avec des portés acrobatiques qui sont autant de défis à la gravitation terrestre. "My Land" présente les arts du cirque dans un écrin et un format qui sont ceux de la danse. Une heure de spectacle qui à l'exploit technique préfère un idéal de beauté sculptural et hyper expressif.
La poésie du geste
On doit cette fusion inédite à un chorégraphe hongrois, Bence Vági. Sa compagnie Recirquel est installée sous chapiteau en plein centre de la métropole danubienne, juste à côté du Müpa, la cité des arts de Budapest. Avec son cirque d'hiver, ses écoles renommées, Budapest est l'une des capitales européennes du cirque à l'ancienne et la région une pépinière d'artistes, acrobates, trapézistes, jongleurs, etc.
En mariant son expérience de ballet et le monde du cirque, le chorégraphe invente en 2012 une forme de nouveau cirque axé sur la poésie du geste et l'expressivité du mouvement. Il y a dans cette manière de voir et de donner à voir les circassiens le même regard qu'un Bartabas peut porter à ses chevaux de Zingaro. Un style qui depuis triomphe sur les scènes internationales: en ce moment même Recirquel joue trois spectacles en parallèle dans sa ville d'origine, sur les scènes de France et dans le théâtre de Suisse romande. Une belle découverte.
Thierry Sartoretti/ld
"My Land", à voir à Neuchâtel, Théâtre du Passage, vendredi 17 janvier. Fribourg, Equilibre, samedi 18 janvier.