C'est vrai qu'elle lui ressemble un peu. Parce que sa peau est brune? Plutôt par une sorte d'étincelle malicieuse dans le regard dès qu'elle s'anime sur scène. "On m'a souvent déclaré que je ressemblais à Joséphine Baker. Même ma maman m'a suggéré une fois de créer un spectacle sur elle".
Aujourd'hui voici son "Je brûle de Joséphine". Ce n'est pas un spectacle sur ou en hommage à. Surtout pas une revue de music-hall à la manière de. Plutôt un spectacle avec. La comédienne Safi Martin Yé n'est pas Joséphine Baker. Elle a sa propre histoire et cette histoire a plus d'un lien avec la célèbre danseuse.
L'incarnation d'une danse sauvage
Ainsi: être vue comme LA noire dans un monde où le blanc domine. Pour Joséphine, née à Saint-Louis-Missouri, une ville frappée par les émeutes raciales, c'est son arrivée à Paris en 1925 à l'affiche d'une "Revue nègre" qui aligne tous les poncifs d'une époque raciste et coloniale. L'Américaine formée au jazz et au blues sera désormais l'incarnation d'une danse sauvage. Avec banane et Afrique de pacotille.
Pour Safi, jeune élève sédunoise, née d'une maman valaisanne et d'un papa burkinabé, c'est le souvenir de ce camarade de classe qui fond en larmes. Il ne veut pas jouer avec elle "parce qu'elle est noire". Ou alors le rappel de cet enseignant qui systématiquement tripote sa touffe de cheveux plus crépus que la moyenne.
Joséphine Baker se défend par l'humour et la séduction, devient la première vedette internationale noire et se sert de sa notoriété pour soutenir les droits civils aux USA ou encore la lutte contre le nazisme et le racisme en Europe.
Interroger son identité de comédienne métisse
A son échelle plus modeste de comédienne romande, Safi Martin Yé se plonge dans le mythe Baker pour mieux interroger, presque cent ans plus tard, son identité de comédienne romande métisse: "Au Burkina Faso, on m'appelle la toubaba – la blanche – Ici, on me considère comme noire, jamais comme métisse. Il n'y a qu'en Guadeloupe où je suis allée enfant en vacances ou à Harlem où j'ai suivi des cours de théâtre qu'on ne m'a jamais interpellée sur mes origines", sourit la Valaisanne.
Sur scène, elle chante et adapte le répertoire de Joséphine dont l'extraordinaire et peu connu "Si j'étais blanche". Elle danse aussi, cite la Baker et parle d'elle-même, entremêle les deux biographies, dialogue avec le piano jazz de Mael Godinat (présent sur le plateau) et invoque sa Paco de papa, feu le percussionniste du groupe burkinabé Farafina qui fit les grandes heures de la vague "world music" dans les années 1980.
"Je brûle de Joséphine" est un spectacle habité, drôle et magnifiquement incarné, chorégraphié par Ivan Larson et mis en scène par Catherine Favre. Elle a le feu, Safi Martin Yé. Et une réponse brûlante à la question: "Comment vivre sa liberté artistique lorsque l'on est femme et noire en 1925 ou en 2020?"
Thierry Sartoretti/aq
Genève, Théâtre de la Parfumerie, du 21 janvier au 2 février. Sion, Teatro Comico, du 20 février au 7 mars. Yverdon-les-Bains, L’Echandole, le 20 mars. La Chaux-de-Fonds, Centre culturel ABC, les 1 et 2 avril.