Avec ce titre, vous pensez peut-être à une pièce pour enfants. Eux seuls peuvent dire que "le sexe, c’est dégoûtant". Pas leurs parents! Eux, vous, nous aimons trop ça, nous ne pensons qu’à ça. Observez les sommets que ce seul mot clé, "sexe", fait atteindre à nos courbes d’audience! Pourtant, je vous déconseille d’emmener vos enfants voir ce spectacle: c’est bien à leurs parents qu’il s’adresse et que s’adresse sur scène le couple alangui sur la banquette impeccable de son salon épuré.
Brigitte et Enzo, la cinquantaine, sept ans de vie commune et d’échangisme. Une philosophie de vie, pour eux qui sont ouverts à tout et à tous, à condition d’une hygiène corporelle irréprochable. Sinon, c’est dégoûtant. Brigitte et Enzo attendent d’ailleurs un couple qu’ils vont initier à leur pratique. Ils sont donc tout excités et intarissables sur le libertinage.
La machine à fantasmes
Et côté action, que se passe t-il dans cette pièce? C’est ce qui est magique avec le mot sexe: il suffit de le prononcer pour que la machine à fantasmes s’emballe. L’attente. La frustration. Le désir! C’est exactement de cela dont il est question ici. Pour apaiser votre impatience, je peux juste vous dire que le couple attendu viendra à son tour nous parler. Tout autre profil! Eux, ce qui les fait palpiter, c’est la randonnée. Admirer les montagnes et les marmottes croisées.
Ces deux couples ont toutes les raisons de se mépriser, l’un décomplexé, l’autre coincé… A moins que ce ne soit que des apparences. Des rôles tenus par quatre personnages lancés dans une même lutte: contre l’ennui, la lassitude, l’usure du couple et pour leur épanouissement total. Quatre êtres que le néant partout menace. Comme sur cette scène presque vide. Alors, ils la remplissent de mots, peut-être même d’actes, qui sait? Pourtant, ils ne parlent jamais autant d’eux, du sexe et de nous que dans les silences qui suintent, malgré leurs efforts. Des silences chargés de fantasmes, de manques, de peur, d’espoir de tendresse et de réconfort.
Vous connaissez la phrase du psychanalyste Jacques Lacan: "il n’y a pas de rapport sexuel", signifiant par là qu’on aspire à se rencontrer, à ne faire qu’un dans la sexualité mais en vain, parce qu'on est toujours seul avec son désir. J’ai l’impression qu’Antoine Jaccoud s’empare de cette réalité, en explore la mélancolie, le comique aussi. C’est triste et drôle. On y voit notre espèce prise dans ses éternelles agitations et notre époque angoissante de fadeur. Ce qui me fait dire que le sexe au théâtre, c’est rare et c’est dommage parce que quand c’est bien fait, c’est pas dégoûtant: c’est même très parlant.
Anne-Laure Gannac/mh
"Le sexe c’est dégoûtant", jusqu’au 8 février à La Grange de Dorigny, à Lausanne, avant une tournée au Théâtre de Beausobre à Morges, Benno Besson à Yverdon, et St-Gervais à Genève.